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fonds sur ce point. Ses vingt ans d’ailleurs lui conseillent aisément un dédain philosophique des commodités de la vie ; mais quel courage plus difficile ne lui faut-il pas pour subir les reproches, les méprises injurieuses de l’humble famille d’artisans dont il doit un jour honorer le nom, et qui ne sait voir encore dans la noble passion qui le possède que les témoignages de l’ingratitude ou l’entêtement de la vanité ! Surviennent les maladies, les déceptions amères, les échecs, qui achèvent de ruiner le présent et qui compromettent l’avenir. Rien ne lasse, rien n’ébranle même cette rare force de volonté. Menacé de perdre la vue au moment où il va enfin entrer en lice et disputer le prix de Rome, qui lui apparaît depuis si longtemps comme la récompense suprême, comme « la planche de salut, » dit-il, promise à ses efforts, le pauvre artiste est obligé de décliner la lutte d’où il espérait sortir vainqueur. Une autre fois, c’est l’argent qui manque, le peu d’argent dont il a besoin pour payer ses modèles, et le morceau de concours qu’il expose, forcément inachevé, n’obtient que le second prix. « Voilà un grand malheur pour moi, écrit Simart au lendemain de cette honorable défaite, mais l’année prochaine j’aurai le premier grand prix… J’arriverai ou je mourrai en route. » Peu s’en faut qu’il ne meure en effet, usé par les privations et les fatigues, mais du moins après avoir vu se réaliser les premiers rêves de son ambition, après avoir conquis cette couronne tant souhaitée. On sait le reste. La jeunesse chez Simart eut raison de la maladie, et le lauréat de l’école des Beaux-Arts, mieux autorisé que jamais à compter sur l’avenir, partit pour Rome, où son talent allait se confirmer, se définir, et acquérir bientôt cette vigueur paisible, cette sérénité dans les allures qu’il gardera jusqu’à la fin.

La première figure qui exprime clairement ces progrès et la salutaire influence exercée par M. Ingres sur les inclinations du jeune artiste est une figure de Joueur lançant le disque, ou, pour employer le terme consacré en Italie, la ruzzica ’, que Simart envoya de Rome en 1837 et que le musée de Troyes possède aujourd’hui. Il n’est pas très difficile sans doute, lorsqu’on examine cette statue, d’y reconnaître une science un peu timide encore, de constater çà et là, dans les proportions par exemple des jambes et des pieds, quelques incorrections assez graves, quelques témoignages d’inexpérience ; mais cette inexpérience même, ce mélange de naïveté et d’effort studieux ont la grâce si vite évanouie qui décore les essais de la jeunesse et qui annonce la puberté du talent. Il y a dans la vie des artistes éminens une heure rapide, une heure charmante, où leur habileté dans sa fleur s’épanouit modestement encore et laisse pressentir sous des formes ingénues la force ou la beauté prochaine. C’est le moment où l’élève adolescent du Pérugin trace avec une gaucherie exquise le Sposalizio, où Léonard nous fait deviner déjà le peintre de la Joconde