Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stratégique. Le projet de dépense pour l’achat des terrains, l’érection des ouvrages de défense, l’armement des fortifications et la construction des casernes à l’épreuve de la bombe, touchait à la somme énorme de plus de 11,850,000 livres sterling. Cette somme, réduite depuis à 9 millions, n’a effrayé ni le pays ni le parlement, qui vient déjà de voter les premiers subsides. L’état, non content de mettre l’arsenal à l’abri d’un coup de main, en couronnant de fortifications les hauteurs de Shooter’s-Hill, est décidé à établir un ou deux autres dépôts, pour diviser les provisions et le matériel de guerre qui se trouvent aujourd’hui concentrés à Woolwich, Ces demandes de fonds sont en ce moment populaires dans la Grande-Bretagne. Les moins alarmés estiment qu’aucun sacrifice ne doit être épargné pour guérir une grande nation du mal de la peur, surtout quand cette peur a pour objet le fantôme de l’invasion étrangère. Un membre du parti de la paix qui avait voté sur cette question avec la majorité de la chambre des communes expliquait naguère ses motifs dans un salon de Londres. « Je regrette, disait-il, que tant de travail, de lumières et d’argent se dépensent ici pour défendre le pays contre des maux peut-être imaginaires ; mais, comme après tout l’esprit de conquête peut ne point être éteint dans le cœur de tous les peuples civilisés, j’apprécie les craintes de ma nation, et je cherche un moyen de les combattre. Ce dont le commerce anglais a le plus besoin, c’est de sécurité ; je regarde donc les préparatifs militaires, si coûteux qu’ils soient, comme le meilleur remède à des paniques encore plus désastreuses pour les intérêts matériels que la guerre elle-même. »

La prospérité de l’arsenal de Woolwich, comme grande fabrique d’armes, est de date beaucoup plus récente qu’on ne l’imaginerait en voyant l’étendue et la multiplicité des travaux. Il y a quelques années, le gouvernement anglais se procurait une grande partie de son matériel de guerre au moyen de contrats passés avec des particuliers. Ici encore la campagne de Crimée et la dernière guerre des Indes ont exercé une heureuse influence. Le système des contrats est abandonné en principe, et l’état tend désormais à réunir sous sa main les diverses branches de fabrication qui étaient abandonnées à l’industrie privée. Il a trouvé à cette réforme deux avantages : économie et supériorité dans les produits[1]. Il n’y a plus guère que la poudre à canon et les fusils qui ne sortent point des ateliers de l’arsenal. La seule fabrique de poudre que possède aujourd’hui le

  1. Autrefois l’état payait aux contractons une guinée par bombe ; le même article de guerre se fabrique maintenant à l’arsenal pour à peu près 13 shillings. On peut, par ce seul fait, avoir une idée des bénéfices que le gouvernement anglais réalise en se faisant lui-même entrepreneur de travaux. Il fallait seulement, pour introduire de telles réformes, une administration qui m reculât point devant les premières dépenses.