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sécurité. Un intendant me faisait pourtant remarquer avec un certain tact physiologique l’influence taciturne qu’exercent les grands ateliers sur certains corps d’état. Au milieu du bruit assourdissant des machines qui couvrent et défient la voix humaine, les ouvriers mécaniciens finissent par se résigner au silence, et peu à peu en contractent l’habitude.

Une question s’est élevée dans ces derniers temps : l’arsenal est-il réellement bien placé à Woolwich ? Lorsque le vieux Schalch avait désigné du doigt au gouvernement anglais la warren comme l’emplacement le plus favorable, il n’avait en vue que la présence de la Tamise, la proximité de Londres, et d’autres avantages topographiques. De son temps, il était juste de s’arrêter à ces considérations. La Grande-Bretagne se croyait alors suffisamment protégée contre le dehors par sa flotte, par la mer et une ceinture d’âpres côtes bordées d’écueils et de tempêtes. Aujourd’hui les conditions sont changées : la vapeur, introduite dans l’art de la navigation, et d’autres causes encore ont ébranlé l’antique confiance que plaçait l’Angleterre dans ses forces maritimes et dans sa position géographique. En cas de guerre, un riche dépôt d’armes et de munitions comme l’arsenal de Woolwich ne manquerait point de tenter l’ardeur et les convoitises d’une armée d’invasion. Envisagée à ce point de vue, la situation de Woolwich cesse d’être irréprochable. Assise dans le Kent, et à une distance après tout peu considérable de l’embouchure de la Tamise, cette ville peut être aisément atteinte par l’ennemi. Dans ce cas, la perte d’immenses ressources ou même une simple suspension de travaux entraînerait pour le royaume-uni des conséquences que les Anglais n’envisagent point sans terreur. Pour conjurer des chances si désastreuses, on a parlé, il y a quelques mois, de transporter l’arsenal dans le nord de l’Angleterre. Ce projet coûteux a été abandonné y mais pourtant l’émotion du pays n’a fait, depuis ce temps-là, que s’accroître à l’idée d’une armée ennemie qui pourrait toucher un jour le sol de l’île inviolée, et mettre la main sur le palladium des armées anglaises. Il fallait aviser. Au mois de juin 1860, une commission a été nommée par le ministre de la guerre pour examiner l’état des moyens de défense nationale. La commission a répondu que le territoire n’était point suffisamment protégé contre une descente, ni contre les progrès d’une armée ennemie débarquée dans le pays. L’attention des généraux et des ingénieurs s’était portée spécialement sur les ports de mer, l’embouchure de la Tamise, le dock-yard et l’arsenal de Woolwich. La commission proposa donc au gouvernement anglais de construire des forts détachés pour couvrir les points les plus menacés à cause de l’importance qu’on leur assigne dans le système