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qui déchirent la pierre et la brique ainsi que du carton. À leurs yeux, la vieille tour foudroyée s’élève au bord de la mer comme un témoignage du caractère de destruction que revêtirait aujourd’hui une guerre européenne.

Loué par les uns avec enthousiasme, critiqué par d’autres au point de vue de la complication de l’arme et du prix élevé de la main-d’œuvre, le canon Armstrong a déjà un rival, je veux parler du canon Witworth. Ce dernier n’a point encore trouvé le chemin de l’arsenal de Woolwich ; il en est jusqu’ici à la période de la lutte et des épreuves. Quelques-uns de ces essais ont pourtant été si heureux que des hommes de l’art n’hésitent point à le placer, sous certains rapports, au-dessus de l’autre canon rayé. Je ne préjugerai point la question, qui doit être décidée prochainement par un comité de l’artillerie. M. Witworth, dont j’ai visité, il y a un an, les ateliers à Manchester, est un fabricant déjà célèbre par d’autres découvertes. Fils de l’atelier, il n’a point les qualités brillantes qui distinguent M. Armstrong comme homme du monde et même comme orateur ; mais après tout c’est ici l’arme qui doit avoir la parole, et non l’inventeur. Je ne citerai qu’une seule expérience qui eut lieu au mois de juin dernier devant le duc de Somerset et les lords de l’amirauté vers l’embouchure de la Tamise. C’était un jour très défavorable pour l’essai d’un canon : le tonnerre, les éclairs, la grêle, la pluie et le vent faisaient rage sur la mer, dont les lames se brisaient courtes et agitées. Chargé à bord de la Carnation, le canon Witworth fut pointé contre les flancs doublés de fer du vaisseau de guerre Trusty. La première volée fut lancée à une distance de 200 mètres. Dès que le nuage de poudre se fut dissipé, on reconnut que la charge avait traversé le fer et s’était ensevelie dans la profondeur du chêne qui doublait le vaisseau. Le second coup fut encore plus heureux : le boulet à tête plate s’ouvrit cette fois un chemin à travers le fer, le bois, tous les autres moyens de résistance, et roula furieux sur le pont. On recommença jusqu’à cinq fois, et à l’exception d’une charge qui passa par-dessus les batteries, le fer troua le fer, couvrant en outre le pont d’éclats de métal et de bois qui, dans le cas d’une action, auraient jeté tout alentour l’épouvante et la mort. Ce résultat fut accueilli avec une sorte de surprise mêlée d’enthousiasme. Le boulet de canon dont l’efficacité avait été mise en doute contre les batteries de fer flottantes venait de reconquérir toute sa valeur comme puissance de destruction. Il était maintenant démontré qu’il n’y a plus de vaisseau de guerre invulnérable, puisque la vie des hommes ne se trouvait point en sûreté derrière un abri de quatre pouces et demi de fer. La conclusion des lords de l’amirauté fut en effet qu’il fallait aviser à d’autres moyens de défense encore plus énergiques. Dans un temps où ce ne sont plus les hommes, mais les vaisseaux