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leur toilette extérieure était achevée (ce qui était l’affaire de deux jours), on les creusait. Un jour et demi plus tard, la pièce d’artillerie était prête pour le service ; mais avant de prendre sa place dans les batteries, il lui fallait encore subir de sévères épreuves. Environ vingt ouvriers et garçons pouvaient couler dans la fonderie de douze à dix-huit pièces de canon par semaine, et avec les machines dont disposé l’arsenal, trente-trois de ces armes pouvaient être terminées dans le même espace de temps.

Aujourd’hui la fonderie de canons a beaucoup perdu de son importance. Les fournaises sont éteintes, à la tempête du bronze a succédé un calme plat. Depuis la découverte de M. Armstrong, on ne fond plus les canons, on les forge. C’est donc dans un autre département, new gun factories, que nous devons nous transporter pour retrouver le mouvement et suivre les progrès de cette branche de fabrication. Certaines parties du travail sont encore enveloppées de mystère, et l’entrée de quelques ateliers est interdite aux étrangers. M. Armstrong a pourtant avoué lui-même dernièrement que son invention n’était plus un secret. L’histoire de ce canon, qui a été dans la Revue l’objet d’une sérieuse étude[1], ne nous arrêtera que quelques instans. M. William Armstrong commença ses expériences sur les nouvelles bouches à feu rayées en 1854. Son premier canon, terminé au printemps de l’année suivante, quoique construit sur les mêmes principes que ceux qu’il fait maintenant, ne donna point à l’essai de résultats encourageans. Une fois de plus, l’inventeur eut à reconnaître quelle énorme distance sépare la théorie de la pratique. Il lui fallut trois années pour surmonter les résistances et les difficultés que lui opposait la fabrication d’une arme rebelle et compliquée. Au milieu de l’été, il faisait ses essais sur le bord de la mer entre trois et six heures du matin, le seul moment de la journée où la plage se trouvât déserte. Par respect sans doute pour la tranquille population des baigneurs, dont il troublait le sommeil, M. Armstrong transporta ensuite son quartier-général dans les marais et les landes d’Allenheads. Là il avait devant lui une vaste plaine où les moutons et les coqs de bruyère couraient seuls le risque d’être frappés par ses projectiles ou éveillés par ses détonations. Après trois années de lutte, de tâtonnemens et de progrès, la découverte parut enfin avoir atteint un certain degré de maturité. M. Armstrong construisit alors à grands frais et sous sa responsabilité personnelle quelques pièces de canon selon le nouveau système. En 1859, une commission fut nommée pour examiner en général l’invention des bouches à feu rayées. Durant cinq mois, cette commission assista à des expériences dont le résultat est connu ; il me

  1. Voyez les livraisons du 1er et du 15 avril 1860.