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ville en un puissant fleuve, portant des vaisseaux à voiles, ont sans doute déterminé à Woolwich la formation de l’arsenal et du dockyard. L’arsenal n’occupait pourtant point à l’origine l’emplacement qui semble lui avoir été destiné par la nature. Il y avait à Londres, dans Moorfields, avant George Ier, une fonderie royale où l’on coulait des canons de bronze. Cette usine fut employée en 1716 à refondre des canons en mauvais état pris par Marlborough sur les Français. Un grand concours d’officiers, de curieux et de personnes de distinction s’était porté sur les lieux pour assister à l’expérience. D’abord tout promettait de bien aller ; mais parmi les spectateurs se trouvait un jeune Allemand (d’autres disent un Suisse), nommé Schalch, qui ne partageait nullement la confiance générale. Andrew Schalch sortait d’apprentissage, et, selon la coutume des ouvriers de son pays, il voyageait pour se fortifier dans son art avant d’acquérir le droit de maîtrise. Seul dans la foule, il remarqua une circonstance qui avait échappé aux yeux, à la pensée de tous : il découvrit que les moules dans lesquels on allait couler le bronze étaient humides, et il se dit que la vapeur engendrée par cette humidité mise en contact avec le métal bouillant serait assez forte pour causer une explosion. Schalch conçut donc les plus grandes craintes pour le succès de l’ouvrage et pour la vie des assistant. Il communiqua ses doutes et ses inquiétudes aux personnes qui se trouvaient là ; mais, voyant qu’il n’était point écouté, il envoya un message au colonel Armstrong, major-général de l’artillerie, et au duc de Richmond, qui était à la tête de ce département. Ses avis furent dédaignés ; le jeune Allemand dès lors se retira sans bruit avec ses amis. Quelques minutes après son départ, tout Londres fut alarmé par le bruit d’une terrible explosion. Une partie du toit de la fonderie avait été enlevée, les galeries destinées à recevoir les spectateurs s’étaient écroulées ; un grand nombre d’ouvriers avaient reçu de graves et même de mortelles blessures. Ce que Schalch avait prédit était arrivé : les moules s’étaient rompus sous la force comprimée de la vapeur, et le métal bouillant s’était élancé de toutes parts. À cet accident se rattache l’origine de l’arsenal qui existe aujourd’hui, mais non plus à Londres.

Les autorités anglaises firent chercher le jeune Allemand qui avait si bien su prévoir les funestes conséquences d’un manque de savoir-faire. Une annonce publiée par les journaux du temps l’invitait à se présenter devant le conseil de l’artillerie, qui siégeait à la tour de Londres. Schalch y vint ; après lui avoir fait subir un examen, on lui offrit la surintendance d’une nouvelle fonderie de canons. Au nom du gouvernement, le colonel Armstrong le chargea de choisir dans les environs de Londres un emplacement plus favorable que celui de Moorfields. Peu de temps après cette entrevue, Andrew Schalch