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Angleterre. À ces épreuves, à ces luttes étaient attachés des prix, et la plus honorable des récompenses était un cor de chasse en argent, bugle, qui sonnait à la fin les succès du vainqueur.

Tel était l’état des choses lorsque la récente guerre avec la Russie appela la sollicitude du gouvernement anglais sur la réorganisation de l’enseignement dans les écoles militaires. Dès 1855 s’accomplit une grande réforme ; le système de nominations fut remplacé par l’admission au concours. Une circulaire du ministre faisait appel, sans distinction de classe, à tous les candidats qui voulaient entrer à l’académie royale de Woolwich. Des examens publics, ouverts à toute la jeunesse et dirigés par des examinateurs indépendans du corps enseignant, succédèrent aux examens conduits par des professeurs dans les murs de l’école. La compétition venait de détrôner le privilège. Dans tout autre pays, un tel changement eût semblé le signal d’un bouleversement de la société. En France, il n’a pas fallu moins qu’une révolution pour rendre les grade supérieurs de l’armée accessibles à la classe moyenne : en Angleterre, les institutions sont douées d’une force d’élasticité qui leur permet de s’élargir et de se prêter aux mouvemens de l’opinion publique sans que la nature du gouvernement s’altère. Je n’assurerai pourtant pas que cette mesure libérale n’ait point eu à essuyer de contradictions ; elle en rencontra de très vives parmi les anciens officiers et les anciens élèves de l’académie. On lui reprocha de porter atteinte à l’éclat de la naissance, auquel les Anglais rattachent par une sorte de tradition le privilège du courage. C’était, disait-on, un sang nouveau infusé dans l’armée, et qui devait obscurcir le prestige inhérent depuis des siècles au corps des officiers anglais. Certains cadets entrés dans l’académie sous le régime du patronage affectèrent quelque temps d’établir une ligne de démarcation entre eux, enfans du favoritisme, et les nouveau-venus, fils de leurs œuvres, entre les gentlemen et les personnes[1]. Ces résistances étaient prévues ; le gouvernement eut le bon esprit de persévérer dans la voie du progrès, et si aujourd’hui tous les préjugés anciens et vivaces ne se sont point soumis, ils sont du moins désarmés. L’opinion publique et un vote de la chambre des communes ont consacré le principe du concours.de manière à ne plus revenir sur ce qui a été fait dans ces derniers temps. L’heureux effet de cette mesure sur les études militaires est incontestable ; elle a coupé par la racine l’arbre du privilège, et substitué le contrôle du mérite personnel à la pression des influences.

Il ne faut pas toutefois s’exagérer la nature d’un changement qui

  1. Pour comprendre cette distinction et ce qu’elle avait d’amer, il faut savoir que les anciennes nominations s’adressaient aux gentlemen, tandis que le décret de lord Panmure portait que toute personne ayant rempli les conditions exigées serait admise à l’examen.