Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de M. Alexandre Dumas fils. Il en est un peu ainsi de l’imagination humaine, qui a ses œuvres choisies et savoureuses à côté de celles qui ne mûriront pas ou sont déjà flétries, qui a aussi, plus que jamais peut-être, de ces œuvres au point noir, de ces pèches à quinze sous de la littérature et de l’art. Ces œuvres, on ne peut s’y tromper, ne sont pas seulement un phénomène littéraire : elles sont le signe d’un certain état de société par les goûts, les idées, les habitudes morales qu’elles reflètent et qu’elles propagent ; elles passeront cependant comme cette crise même dont elles sont à la fois un des élémens et l’expression, et c’est justement parce qu’elles sont éphémères qu’il est du devoir de tous les esprits doués de jeunesse et de vie de ne point s’attarder dans ces régions aux attraits trompeurs et aux succès d’un jour, d’aller droit à la grande carrière où fleurissent les œuvres d’une virile et saine inspiration.


CH. DE MAZADE.


LA PHILOSOPHIE DE LEIBNITZ, par M. NOURRISSON.

Lorsque Maine de Biran exposa la doctrine de Leibnitz, il y avait près d’un siècle qu’elle était presque oubliée en France ; elle n’y avait plus trouvé d’admirateurs depuis Diderot et Rousseau, et les railleries de Candide paraissaient être le dernier mot des Français sur le philosophe de Hanovre. Maine de Biran eut le mérite de faire cesser cette distraction, pour ne pas dire cette ignorance ; mais comme il semblait y avoir en Leibnitz deux hommes, — un savant et un métaphysicien, — il laissa le savant de côté, et pensa que le métaphysicien pouvait être examiné à part. C’est ce point de vue restreint qu’ont adopté ceux qui ont, depuis lors, interprété ce grand système en France ; c’est dans cette vue aussi que l’Académie des sciences morales et politiques proposait, il y a trois ans, comme sujet de concours, la philosophie de Leibnitz. Les concurrens devaient rechercher d’abord où Leibnitz était parvenu en philosophie et dans les diverses parties des connaissances humaines avant son séjour à Paris, puis établir quelle part le cartésianisme et la France peuvent réclamer dans les développemens de son génie ; ils devaient examiner aussi le caractère nouveau introduit dans les discussions philosophiques par l’intervention de l’histoire même de la philosophie, négligée et ignorée jusqu’à lui. Enfin l’ensemble des théories de Leibnitz, ce qu’on appelle son éclectisme, devait être exposé et jugé. L’Académie ne parlait pas de ses travaux mathématiques, les jugeant sans doute étrangers à la question. Envisagé ainsi, Leibnitz pouvait encore être le sujet d’un ouvrage intéressant, quoique étroitement conçu, tel enfin que celui qui vient d’être publié par M. Nourrisson, et qui a été couronné par l’Académie.

L’auteur met tous ses soins à établir la parenté intellectuelle de Leibnitz et de Descartes. — Instruit dans les principes de la scolastique, Leibnitz avait seize ans lorsqu’il commença à lire Bacon, Kepler, Campanella, Galilée, Descartes surtout, qui dès lors le préoccupa sans cesse. Le souffle de l’esprit nouveau le saisit, et tout en gardant à Aristote une fidélité raison-née, il se mit à la recherche de l’harmonie secrète qu’il pensait devoir exister au fond entre les anciens et les modernes. Tel était l’objet de ses méditations dans ce fameux bois de Rosentlml, près de Leipzig, consacré aujourd’hui