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est-il de ceux qui appartiennent à l’art véritable, ou de ceux qui se rattachent encore au groupe bariolé des inventions de tous les jours ? Il y a du moins une idée, et cette idée en elle-même ne manquait ni d’élévation ni de force. De quoi s’agit-il en effet ? C’est l’histoire d’un nom qui va finir, d’une vieille race aristocratique qui va s’éteindre ; c’est la lutte d’un vieux sang de grand seigneur qui se révolte à l’idée qu’il ne va plus couler dans d’autres veines qui le transmettront à leur tour. L’auteur, je pense, aurait pu trouver bien d’autres manières de finir pour les races aristocratiques ; mais il a imaginé son histoire à lui, et il a pris pour héros un homme de vigoureuse trempe qui n’a qu’un défaut, celui de flotter toujours entre l’héroïsme et les excès qui conduisent à l’échafaud ou au bagne. Ces Simore-Sabaillan qui ont trouvé en M. Laurent Pichat un historien fort indulgent, sont de mon pauvre Midi, qui n’en fait jamais d’autres, et ils ont pour dernier représentant ce personnage même du roman nouveau, ce terrible marquis que vous n’avez point connu assurément, et qui a été tout ce qu’on peut être : bandit ou chef de partisans pendant l’émigration du temps de l’empire, grand seigneur tout-puissant sous la restauration, et même encore pair de France sous Louis-Philippe. Il n’a pour le moment qu’une passion, celle de se voir renaître, de voir son sang refleurir en quelque rejeton qui aura du moins le bonheur de vivre dans de meilleurs temps où l’aristocratie reprendra ses vieux droits. Malheureusement il n’a qu’un fils qui s’épuise dans l’abrutissement et la débauche, et qui impose le martyre de son impuissant voisinage à une infortunée jeune femme dont les enfans meurent l’un après l’autre, comme des branches sans vie qui se détachent du tronc.

Le descendant des Simore-Sabaillan lutte pourtant en désespéré, en homme qui ne recule devant rien, pas même devant le crime. Il a été accoutumé à briser tous les obstacles ; il est brisé par le destin en voyant mourir son fils idiot et fou. Il reste pour la première fois déconcerté lorsque tout à coup il trouve devant lui un jeune homme, un médecin qui soigne ses petits-fils, qui admire le dévouement héroïque de la comtesse de Sabaillan, aime cette jeune femme et s’en fait aimer, et ce médecin, ce Gaston Gélas, n’est autre qu’un enfant égaré du vieux marquis, le fruit oublié d’une ancienne séduction. Le vieux marquis se jette aussitôt sur ce dernier espoir : il veut reconnaître et adopter ce jeune homme ; mais celui-ci se relève dans sa fierté et ne veut pas de cette reconnaissance tardive. Le vieux marquis mourra décidément sans postérité, et le jeune homme restera dans son isolement, n’épousant pas même la comtesse de Sabaillan, dont il est séparé par des souvenirs plus terribles que l’illégitimité. Gaston Gélas, c’est, je suppose, la démocratie qui s’élève sur la tombe de l’aristocratie expirante. Que voulez-vous ? il faut bien qu’il y ait un peu de démocratie dans les romans de M. Pichat. La conception, à tout prendre, était sérieuse sans être absolument neuve, et les élémens d’intérêt étaient nombreux dans Gaston. Il n’y a qu’un malheur, c’est que ce récit, dont je ne fais que ressaisir le fil, s’égare en toute sorte d’aventures rétrospectives, et que la valeur morale de la donnée est souvent compromise par l’excès des couleurs. L’histoire des races qui finissent ne serait pas moins démocratique quand il y aurait un peu moins de souillures et de crimes, elle n’en serait même que plus éloquence en restant plus vraie. M. Laurent Pichat en dira ce qu’il voudra, il lui manque une chose essentielle,