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maintes occasions brillantes sous les colonels Létang et Tartas. Ils résumaient donc à eux seuls les deux élémens distincts de la cavalerie d’Europe. En outre, la guerre d’Afrique réclamait de longues et pénibles marches sous un ciel brûlant, à la poursuite de populations qui fuyaient toujours, et de combattans braves, mais qui guerroyaient à la manière des Parthes. Cette cavalerie avait donc affaire à un ennemi souvent insaisissable ; ce vaillant cheval, chargé d’un poids extrême en raison du surcroît de bagage qu’il devait supporter dans un pays sans ressource, se tira avec honneur d’une si difficile position, à ce point que sa réputation bien établie l’a fait appeler sur les champs de bataille de l’Europe, où il n’a certes pas failli à ce que l’on devait en attendre.

Le rôle nouveau que joue l’artillerie dans les grandes luttes de notre époque semble supprimer une division empruntée au moyen âge ; il rend inutile cette grosse cavalerie, ces cuirassiers immortels d’Eylau et de la Moskowa, pour lesquels leur armure n’est plus une défense contre les armes de précision inventées de nos jours. La mobilité, l’élasticité, si je puis me servir de cette expression, doivent être les principes fondamentaux de la nouvelle cavalerie, qui devra sortir de ces modifications apportées aux engins de guerre. La cavalerie est appelée à une tactique nouvelle. Il s’agira pour elle d’être transportée vivement d’un point à un autre, d’être toujours prête à jouer indistinctement tous les rôles, et surtout le dernier, celui qui achève et complète les victoires. La poursuite d’une armée battue et en déroute, cette partie de l’action, exigera une cavalerie d’autant plus agile, d’autant plus manœuvrière, que ce dénoûment se produit, à de rares exceptions près, au moment où quelques heures seulement sont accordées avant la chute du jour. Il faudra donc une cavalerie qui, ayant pu combattre en ligne toute la journée, trouve encore dans son élément constitutif la vigueur, l’entrain, l’audace de la cavalerie légère, qui, répandue de tous côtés dans la plaine, coupe les fuyards, ramasse les pièces que l’on cherche à sauver, assure enfin ces triomphes qui, dans une seule bataille, font tomber les empires. Tel fut le rôle de la cavalerie française à Iéna.

Le contact des cavaliers arabes, fondus dans la cavalerie d’Afrique dès sa naissance, a rendu de plus cet éminent service d’assurer à la cavalerie française une supériorité dans le tir qui lui avait manqué jusqu’alors[1]. Il serait donc logique de dire que les chasseurs d’Afrique renferment dans leur organisation le secret d’une cavalerie future, dont le changement de tactique et la marche progressive des

  1. Le feu de la cavalerie jusqu’à nos guerres d’Afrique n’avait d’autre but que de faire signaler par les avant-postes les surprises de l’ennemi.