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était sa voix, et sur les visages des femmes de tous pays il avait retrouvé quelques-uns des traits de l’enchanteresse qu’il avait abandonnée. Il avait essayé d’en aimer quelques-unes, mais en vain ; au bout de peu de temps, il s’apercevait qu’elles n’étaient que de vulgaires contrefaçons de ce type accompli de la beauté et de l’amour. Toutes l’avaient blessé, et aucune ne l’avait aimé sans arrière-pensée. Isaline la Française lui avait fait sentir l’aiguillon de cette parole acérée qui blesse plus profondément que la parole des femmes de tous les autres pays : elle s’était moquée de ses théories philosophiques sur les trois voies de l’âme et de sa poésie romantique. À Venise, il avait fait les folies les plus ruineuses pour la fille d’un pêcheur qu’il avait rendue riche comme une princesse, et qui, en reconnaissance de ses dons, lui avait enlevé son anneau d’enchanteur pour le jeter au fond de la mer. En Grèce, il avait aimé une jeune paysanne, mais comme un protecteur et comme un frère. La plus remarquable peut-être de ses aventures fut celle qui lui arriva en Espagne, où il reçut à brûle-pourpoint la déclaration d’une jeune dame nommée Dolorès. Il fut d’abord surpris, car il était exempt de fatuité et simple de cœur ; mais avec sa sagacité ordinaire il eut bientôt pénétré la cause de cette passion. « Ce n’est pas moi qu’elle aime, dit-il, c’est la magie : voilà pourquoi le mal est si profond. » Il en eut la preuve quelques jours après, lorsque Dolorès vint impudemment lui demander une échelle de soie, un manteau qui rendît invisible, deux chevaux plus rapides que le vent. C’était bien la magie qu’elle aimait, car, ensorcelée, elle refusait d’être délivrée des liens magiques ; malade, elle refusait de guérir, et son amour ne faisait qu’augmenter avec la douleur et croître avec le péché. Où était cependant, chez toutes ces sœurs imparfaites de Viviane, cette plénitude de beauté qui l’avait enchanté ? Viviane les contenait toutes en elle, et aucune n’exprimait à Merlin une seule des qualités de Viviane dans toute sa perfection. Dolorès était dévouée à sa passion jusqu’au crime ; mais cette passion faisait frémir d’horreur, quand on la comparait à ce mélange d’innocence et de dévouement qui composait l’amour de Viviane. Nella la Vénitienne était capricieuse, mais où était la naïveté que Viviane mêlait à ses caprices ? Aussi les deux amans, séparés l’un de l’autre, se tendent les bras à travers l’espace ; mais le souvenir de leur querelle vit en eux et retarde leur union. Tantôt Merlin répond par des récriminations à la tendresse qui déborde des lettres de Viviane, tantôt Viviane répond par des reproches au repentir de Merlin. Cependant, comme il faut que tout ait une fin, et que d’ailleurs les pèlerinages de Merlin sont à peu près terminés, l’enchanteur se décide à revenir auprès de Viviane. Ce retour de Merlin chargé d’une expérience