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l’écoute, mais avec une attention sommeillante. Passe une troupe de saltimbanques, et Jacques Bonhomme va demeurer bouche béante devant leurs tours de passe-passe et se mêler à leur cortège avec empressement.

Il est facile de croire que, durant ses voyages, Merlin vit quantité de choses merveilleuses dont il sut profiter. Partout il étudia l’art des anciens enchanteurs, dont il trouvait autour de lui les œuvres en ruines. Il apprit donc beaucoup, soit dans l’art des enchantemens poétiques, soit dans la science des enchantemens politiques ; mais, comme il n’était pas ingrat et que d’ailleurs il aimait à donner même alors qu’on ne lui donnait rien, il paya dans chaque pays la dette qu’il avait contractée. Partout où il passait, il laissait des preuves de son génie d’enchanteur. De cet échange de bons procédés et de cette réciprocité de cadeaux naquit, est-il besoin de le dire ? cette société européenne, mélange d’enchantemens divers, — œuvre complexe, une et multiple, d’une association de magiciens dont Merlin fut le chef et le président. Mais que de périls, que d’épreuves pour arriver à l’accomplissement de cette œuvre ! Vingt fois Merlin faillit y périr. Une fois entre autres, il fut emprisonné à Rome comme magicien et condamné à mort. Ce fut une grande épreuve, et si les choses se sont passées telles que les rapporte M. Quinet, cette aventure fait le plus grand honneur à la constance, à la fermeté, à la simplicité du cœur de son héros. Merlin venait justement d’échapper à une dernière tentative de corruption de son père, le roi des abîmes, qui, à plusieurs reprises, avait essayé de l’attirer vers lui. Larmes, prières, menaces, tout avait été vain, car Merlin avait appris à le connaître, et avait pris la ferme résolution non de le renier (ce n’était ni digne ni possible), mais de le fuir et de vivre loin de lui. Il n’était sorte de mauvaises actions que le vieux seigneur n’eût conseillées à son fils ; il n’était sorte de violences qu’il n’eût employées pour le ramener à lui. Ne lui avait-il pas proposé un jour de célébrer dans l’enfer son mariage avec Viviane par des noces criminelles ? Une autre fois, Merlin s’était entendu appeler du fond de l’abîme par des cris déchirans ; ces cris étaient ceux de sa mère, que Satan prétendait faire rentrer dans le domicile conjugal de gré ou de force. Vainement la sainte protestait qu’elle ne lui avait jamais appartenu, c’en était fait d’elle sans l’arrivée de Merlin. Est-ce ce père dénaturé qui, pour se venger des refus obstinés de son fils, suscita contre lui tous les scribes et tous les pharisiens de Rome ? On ne sait ; mais ce qui est certain, c’est que la passion de Merlin suivit de très près la tentation. Peut-être aussi Satan voulait-il moins poursuivre une vengeance que pousser son fils dans une impasse, et le réduire à une telle extrémité qu’il fût obligé d’accepter enfin la main qu’il lui ten-