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avait une tendance singulière à choisir pour envelopper ses pensées les images les plus quintessenciées, les plus semblables à des écharpes vaporeuses. Il évita sagement de montrer ses chants guerriers à Merlin, mais je soupçonne l’écolier de les avoir lus à la dérobée lorsque le maître avait le dos tourné, et de s’être souvenu plus tard de ces fiévreuses Marseillaises primitives et de ces inexorables Chants du départ lancés par les bardes à la tête des bandes celtiques qui marchaient à la rencontre des envahisseurs étrangers.

Merlin profita si bien de la science de Taliesin (le génie celtique) ainsi que de celle de sa sainte mère (l’église), qui lui apprit Virgile, les vers des sibylles et les saints pères, qu’il sentit son cœur se gonfler d’orgueil. Il se croyait déjà un enchanteur, et il essayait de parler en maître à la nature. Il allait à travers champs, disant à toutes choses : « Obéissez. » Mais toutes les créatures se moquaient de ses ordres, et son cœur blessé se répandait en colères furieuses et en mélancolies touchantes. « Quoi ! disait-il, je n’aurai pas la puissance de courber un brin d’herbe sous mon intelligence ! Et il regardait avec colère une joyeuse marguerite des prés qui souriait, quoiqu’il l’écrasât de son regard. Un ver de terre vint à passer tout repu de limon. Merlin lui cria d’une voix de tonnerre : « Esclave, âme d’argile, arrête-toi ! » mais en vain ; le vermisseau se joua du grand enchanteur. » Merlin, qui croyait tout savoir, ignorait deux choses : la première, que le désir n’est pas la puissance, et que ce don des enchantemens devait lui venir d’une âme étrangère à la sienne, afin d’humilier son orgueil et de lui montrer que la science n’est pas souveraine du monde ; la seconde, c’est que le don de l’enchantement ne pouvait manquer de lui être accordé, car il suffit pour l’obtenir de le désirer de toute son âme et de tout son cœur. Or, puisque ce désir était en Merlin aussi fortement qu’il ait jamais été dans aucune créature humaine, il devait infailliblement être exaucé. Il n’attendit pas longtemps le miracle. Un soir qu’il se promenait à travers la campagne, il entendit des voix harmonieuses qu’il prit d’abord pour celles des cigales, et qui chantaient : « Ô vous tous qui habitez les forêts et qui les faites résonner de vos voix matinales, dispersez-vous dans les bruyères, dans les chaumes sonores ; allez annoncer que Viviane se réveille, que le doux éclair de ses yeux a réjoui la terre… Pour nous qui avons chanté le dernier chœur sur les degrés du temple de Sunium, nous saluons aujourd’hui le printemps nouveau dans les bruyères des Gaules. Nulle d’entre nous ne sait ce qui se prépare ; mais la terre a vraiment une odeur d’encens. Voici, voici notre maîtresse rayonnante qui nous fait signe : elle nous impose silence. Il faut se taire maintenant ; c’est aux dieux de parler. » Après quelques minutes d’étonnement, Merlin se lève, cherche