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de son courage intellectuel, en quelque sorte la récompense de son effort ; elles indiquent à quel point il avait pris sa tâche à cœur, et combien la lutte a été sérieuse et acharnée. D’ailleurs, eût-il été écrasé, nous applaudirions encore à sa défaite, car l’effort quand il est sérieux, n’est jamais stérile, et la défaite, quand on ne l’a subie qu’à bout de forces, est plus féconde que le succès légèrement acheté. Un succès facile en littérature ne profite à personne, pas même à l’écrivain qui réussit. Un insuccès glorieux au contraire vaut toujours une victoire, sinon pour l’auteur, au moins pour l’esprit public. Certaines œuvres inachevées et incomplètes ont une valeur fécondante que ne possèdent pas des œuvres plus achevées, stériles par leur perfection même ; elles sont une initiation, elles ouvrent des voies nouvelles, brisent de vieux moules usés, sollicitent la pensée et l’imagination des lecteurs, rendent faciles aux survenans les victoires qu’elles n’ont pu remporter. Ces œuvres sont des germes qui se développeront sous les soins de mains plus heureuses, et de la plupart d’entre elles on peut dire ce que dit trop modestement de lui-même M. Quinet dans la préface de son livre : « Ce que j’ai dit vers la fin de mon ouvrage n’est pas un vain ornement d’imagination. C’est en toute vérité que je laisse au lecteur le rameau qui m’a fait pénétrer dans le monde de Merlin. Toi qui me lis, empare-toi à ton tour de ce rameau de coudrier que je te transmets. Prends les fruits que j’ai abandonnés volontairement sur la branche pour te laisser le plaisir de les cueillir toi-même. »

En écrivant Merlin l’Enchanteur, M. Quinet a poursuivi à la fois la réalisation de deux entreprises, une entreprise littéraire, une entreprise philosophique. Expliquons-les l’une et l’autre. La plupart de nos lecteurs connaissent sans doute les œuvres poétiques que M. Quinet a signées de son nom, et savent combien lui sont chères ces formes symboliques dont il a fait la connaissance durant sa longue intimité avec la philosophie et la littérature allemandes. Il aime à s’entretenir avec les sphinx sur l’éternité, avec les obélisques sur les secrets du désert, avec les hiéroglyphes sur les doctrines sacrées des premières civilisations, avec les étoiles sur la science des mages de Perse et de Chaldée, avec la statue mélodieuse de Memnon sur les mystères de la poésie. Dans son nouveau livre, M. Quinet est resté fidèle aux anciennes tendances de son esprit ; il continue avec les idées ces conversations qui lui ont toujours été si chères. Ce qui est changé, c’est son langage. Jusqu’à présent, il avait toujours été un interlocuteur respectueux non moins qu’éloquent ; il se promenait à travers le monde de l’intelligence comme un lévite à travers un temple ; les idées étaient pour lui augustes et sacrées. En les contemplant, il se sentait frémir d’un enthousiasme religieux, et, sous