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rilleuse fut effectuée très habilement. Protégé par l’éléphant apprivoisé comme par un rempart, l’un des deux hommes s’approcha du troupeau, choisit sa première victime, et, dans un moment où l’animal levait la jambe, lança prestement la corde ; cela fait, son allié tira vigoureusement le captif vers l’arbre le plus voisin, ou la corde fut solidement nouée. Tous les prisonniers furent successivement liés et traînés de la même manière, grâce aux manœuvres des éléphans apprivoisés, qui, aux prises avec leurs confrères en furie, se comportèrent avec une adresse et l’on pourrait presque dire avec une présence d’esprit vraiment admirable. Ce fut, comme on s’y attendait, le solitaire qui opposa la plus vive résistance. Le second troupeau, introduit ensuite dans le coral, subit le même sort. J’ai dû, dans cet essai de description, omettre la plupart des détails qui animent le pittoresque récit de sir James Emerson Tennent ; j’ai voulu seulement donner une idée des grandes chasses aux éléphans, telles qu’elles se pratiquaient autrefois. Ce spectacle émouvant, ce duel où l’homme arrive à dompter face à face l’animal le plus robuste de la création, est devenu rare aujourd’hui. On ne capture plus les troupeaux, on les décime par des attaques isolées. Les Anglais ne font plus de prisonniers dans les forêts de Kandy. L’éléphant n’est à leurs yeux qu’un gibier, et ils le tuent à coups de fusil.

Ainsi disparaissent à Ceylan les traditions du passé, les monumens des premières dynasties, temples, palais, étangs, dont les ruines jonchent partout le sol, et jusqu’aux races d’hommes et d’animaux qui peuplaient l’île aux temps anciens, les éléphans comme les Veddahs. L’éléphant est le dernier témoin des splendeurs de l’antique Taprobane. Cette terre, qui a vu naître et grandir des religions et des empires, n’est plus qu’une petite colonie européenne, postée comme une sentinelle au seuil de l’Inde. Puisse-t-elle retrouver, sous la domination anglaise, le secret de son ancienne prospérité ! C’est le vœu, ce sera la récompense de l’éminent écrivain qui, après avoir, administré Ceylan, vient de nous en retracer l’histoire.


C. LAVOLLEE.