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comme étude morale, le tableau serait presque édifiant, et l’on est surpris de lire un panégyrique si complet de la mansuétude, de l’intelligence et des vertus domestiques de cette formidable créature. Enfin comment ne serait-on pas curieux d’assister à une chasse à l’éléphant et de voir par quels procédés l’homme aborde ce vigoureux adversaire, soit pour le tuer en combat singulier, soit pour le réduire en servitude et lui imposer le joug du travail ? Nous terminerons donc notre courte promenade dans l’île en suivant sir James Emerson Tennent sur la trace des éléphans.

Aux temps anciens, les éléphans étaient considérés comme une propriété royale, et la loi de Kandy frappait des peines les plus sévères les braconniers qui osaient les chasser ou les détruire sans permission. C’était le roi qui organisait les chasses pour son propre compte : on exportait pour le continent de l’Inde les animaux capturés, et ce commerce procurait au trésor royal un beau revenu. Les éléphans étaient alors en nombre très considérable dans toutes les régions de l’île, dans les vallées comme dans les parties montagneuses ; aussi causaient-ils de grands dommages à l’agriculture, et les habitans des villages étaient obligés de multiplier les barrières, d’allumer des feux et d’entretenir des gardiens pour protéger leurs champs à l’époque de la moisson. Depuis la conquête européenne, le nombre des éléphans paraît avoir beaucoup diminué. La chasse est devenue libre ; l’emploi des armes à feu l’a rendue plus meurtrière. On a fait presque chaque année des battues afin de pourvoir aux besoins des services publics. Il est même probable que l’éléphant de Ceylan aurait déjà presque entièrement disparu, si la nature l’avait armé, comme l’éléphant d’Afrique, de ces défenses d’ivoire qui ont tant de prix pour le commerce. Heureusement pour elle, et c’est une des particularités de sa structure, l’espèce cingalaise est généralement dépourvue de défenses, et si les éléphans qui font exception à la règle sont presque toujours les chefs du troupeau, ils doivent à ce dangereux ornement la préférence que leur accordent les balles des chasseurs. On tue ou l’on capture plusieurs centaines d’éléphans par année, et comme la reproduction dans l’état de domesticité est un fait extrêmement rare, on peut dire que, dans un délai plus ou moins éloigné, il n’y aura presque plus d’éléphans dans l’île.

Cependant, d’après les témoignages de sir James Emerson Tennent, les éléphans seraient dignes d’une meilleure destinée. Ils mènent au milieu des forêts de Ceylan l’existence la plus honnête du monde. Ils vivent en troupeaux, ou, ce qui est plus exact, ils vivent en famille, car le troupeau ne se compose que des membres de la famille, ayant une même origine, portant les mêmes marques exté