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bailli de Suffren s’en empara après avoir remporté un avantage signalé sur l’escadre anglaise. Qu’il nous soit permis de préférer ce souvenir aux légendes hindoues et aux traditions portugaises ou hollandaises qui se rattachent à l’histoire de Trinquemalé. En nous avançant plus au nord, nous retrouvons les forêts et les lacs, et nous entrons dans l’ancien royaume de Jafna, habité par les descendans des premiers conquérans malabars. Nous avons déjà mentionné quelques-uns de ces étangs artificiels qui ont été creusés dans les différentes parties de l’île par les anciennes dynasties : signalons encore, sur notre passage, l’étang de Radivil, le plus merveilleux peut-être des ouvrages hydrauliques qui soient sortis de la main de l’homme. Sir James Emerson Tennent estime que cette construction représente le travail de dix mille ouvriers employés pendant cinq ans et une dépense de plus de 30 millions de francs. Ce n’est plus qu’une ruine ; la maçonnerie des bords tombe en poussière ; le lit de l’étang est recouvert par les jungles et par des forêts plus que séculaires. En quelques endroits, on distingue encore d’épaisses mares d’eau dont la surface est, noircie par les écailles des crocodiles. Le pays environnant est presque désert ; la malaria a chassé la population qui se pressait autrefois dans cette région fertilisée par tant de labeur, et il faut franchir une grande distance avant de rencontrer les villages des Malabars ou Tamils. Là du moins, près de la mer et sur la presqu’île qui fait face à la côte de l’Inde, on retrouve la population agglomérée, les cultures régulières et les bois de palmiers qui encadrent les moindres bourgs. Le palmier au nord, de même que le cocotier au midi, est à la fois la fortune et l’ornement du sol cingalais.

C’est sur la côte de Jafna que se trouvent les pêcheries de perles. Sur un espace de plusieurs milles, la rive est exhaussée par d’immenses amas d’écaillés d’huîtres roulées par la mer. Chaque année, vers le mois de février, les pêcheurs de perles, qui se recrutent principalement parmi les Malabars et les Arabes, se réunissent au petit port d’Aripo, et de là se dispersent au milieu des bancs d’huîtres, où ils se livrent à leur industrie sous la surveillance des fonctionnaires anglais. Le mode de pêche est des plus simples. Le pêcheur saisit une corde à l’extrémité de laquelle est fixée une grosse pierre ; il plonge rapidement, laboure avec son panier le fond de la mer pour détacher les huîtres ; puis, dès que la respiration est sur le point de lui manquer, il agite la corde, que ses camarades hissent au plus vite, et qui le ramène à la surface. Quelques auteurs ont raconté des merveilles sur les poumons des pêcheurs de Ceylan : les uns ont affirmé que les Malabars restaient de cinq à six minutes sous l’eau ; d’autres, deux minutes ; un écrivain portugais a pieusement déclaré « qu’ils s’y tenaient l’espace de deux credo. »