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blanchisseurs, elle procède d’un vieil usage indien. À Ceylan, comme dans la plupart des pays de l’Inde, le soin de laver le linge est exclusivement confié à une caste qui a en même temps pour mission de préparer les logemens destinés aux voyageurs de distinction. Lorsque le village reçoit la visite d’un fonctionnaire anglais, on dispose une maison dont l’intérieur est tendu d’étoffes de coton que le maître blanchisseur doit entretenir en état de propreté. On couvre ainsi la nudité des murailles, et sir J. Emerson Tennent rappelle que cette coutume, très ancienne dans l’Inde, a précédé l’usage des tapisseries, importé en Europe à la suite des croisades, et a donné l’idée des papiers peints qui décorent aujourd’hui les appartemens. Ne voyons-nous pas encore dans nos fêtes religieuses les maisons tendues de blanc sur le passage des processions ? Le blanchisseur est donc l’ordonnateur attitré de l’hospitalité cingalaise, il a son rôle dans toutes les solennités, dans toutes les fêtes du village, et il est bien juste que ses concitoyens lui paient la dîme lors de la récolte du riz.

A mesure que l’on approche du littoral, dans la direction du port de Benticaloa, où les Portugais avaient autrefois fondé un établissement, apparaît un singulier mode de culture, qui, d’après le témoignage du Mahawanso, remonte aux temps les plus anciens, et que l’on pourrait appeler culture nomade. On brûle une superficie de forêt, on l’entoure de pieux, et dans l’enclos s’établit une ferme où plusieurs familles, émigrées des villages voisins, transportent leurs bestiaux et sèment des céréales. Quand les récoltes sont faites, la ferme est abandonnée ; ses habitans vont abattre à quelque distance une autre partie de forêt, et s’y installent, pour en repartir l’année suivante après la moisson. C’est bien la vie nomade, pratiquée dans les bois. Le voyageur qui traverse cette province de Ceylan aperçoit souvent de ces éclaircies qui s’ouvrent au milieu de la forêt vierge et qui lui représentent des ruines d’un nouveau genre, des ruines de fermes, disparaissant peu à peu dans le jungle qui repousse sur le sol encore calciné. Bon nombre de Cingalais préfèrent ainsi la vie libre des bois à la discipline du village ; l’administration anglaise ne contrarie point leur penchant. Ces défrichemens irréguliers, qui se renouvellent depuis des siècles, ne font que d’insensibles entailles dans l’immense étendue des forêts qui couvrent Ceylan.

La baie de Trinquemalé s’ouvre sur la côte orientale, au-dessus de Batticaloa. Elle est vaste et profonde, elle offre aux navires un sûr abri, et les Anglais y ont créé un arsenal ainsi que des chantiers de radoub pour la marine militaire. Trinquemalé rappelle un des beaux faits d’armes de notre marine dans l’Inde. En 1782, le