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aime, l’historien des Roumains, M. Edgar Quinet, dans les idéales rêveries de Merlin l’enchanteur. À la fin des visions, au moment où tous les peuples de la terre s’élancent à une vie nouvelle, le poète les salue et leur donne des conseils : « Est-ce toi, s’écrie-t-il, est-ce toi qui devances les autres, ô Hongrie, dont les chevaux effarés respirent encore la mort ? Prends pitié de ceux que tu as foulés trop longtemps, et vois comme ils sont prêts encore à te haïr. Ne les fais pas repentir d’avoir pleuré sur toi. » Que la Hongrie se souvienne de ces paroles, que les poètes effacent de leurs souvenirs et de leurs écrits tout ce qui pourrait rallumer les vieilles colères. Aux derniers chants du poème de Toldi, l’ennemi féroce qui jette l’épouvante chez les Hongrois et que le géant rustique pourfend de sa grande épée, cet ennemi est un Slave, un Tchèque, un Bohême, c’est-à-dire le représentant d’une de ces races que la Hongrie opprimait autrefois, et qui aujourd’hui font alliance avec elle. Pouvait-on rencontrer une inspiration plus malheureuse ?

L’autre poème de M. Jean Arany, la Prise de la forteresse de Murany, est un récit élégant, brillant, romanesque, mais frivole et sans saveur. Maria Szecsi, veuve du prince Etienne Betlén, réside en sa forteresse de Murany. La scène se passe vers la fin de la guerre de trente ans. La France, qui suscite de nouveaux ennemis à l’Autriche, pousse à la guerre les protestans hongrois, et leur chef, George Ier de Rákóczy, prince de Transylvanie, vient de rassembler une armée de soixante mille hommes : grave péril pour la maison de Habsbourg, au lendemain de la bataille de Rocroy, quand il faut lutter contre Turenne et Condé ! Or la forteresse de Murany est sur la route de l’armée hongroise ; quel parti va prendre Maria Szecsi ? Sera-t-elle pour le prince de Transylvanie ou pour l’empereur Ferdinand III ? Essaiera-t-elle d’arrêter les Hongrois, ou veut-elle leur livrer passage ? Maria Szecsi s’est déclarée contre Ferdinand, et déjà les impériaux mettent le siège devant Murany. Ce siège peut être long ; solidement assise sur des rochers à pic, bien pourvue d’hommes et de munitions, la forteresse semble imprenable. Le chef des impériaux, Vésélényi, voit bien que tous ses efforts seraient impuissans, et il n’y a point de temps à perdre si l’on veut couper la route à l’armée de Râkôczy. Aussitôt, en stratégiste habile, il porte la lutte sur un autre terrain. Maria Szecsi est belle, brillante et un peu ennuyée de son veuvage ; lui aussi, il est aimable, séduisant : il n’y a pas de gentilhomme plus accompli à la cour de l’empereur. Le jeune général demande une entrevue à la châtelaine de Murany, et le résultat de l’entrevue, on le devine, ce sont les fiançailles de Vésélényi avec la belle Maria. La dot de la mariée sera la ville elle-même avec les rochers, les soldats et les canons qui la défendent… A parler net, c’est une trahison. Les officiers hongrois qui se battent