Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

respecté nos droits, tu ne verras se courber ni cette vaillante troupe, ni son chef, Konth d’Hedervar ! »

« C’est ainsi qu’il parle, audacieux, indigné ; dût sa tête tomber sous la hache, jamais il ne se prosternera comme un esclave, le hardi Konth au cœur de fer.

« Le roi répond, transporté de colère, — et puissante est la colère d’un roi : « Toi qui insultes la majesté souveraine, ta mort sera terrible !

« Oui, terrible sera ta mort, toi qui oses, vil rebelle, jeter ici même un cri de révolte ! » Pendant qu’il parlait, un bourreau à la stature gigantesque se dressait derrière lui.

« Le peuple pâlit ; le héros demeure immobile, immobiles aussi sont les trente chevaliers, et les regards de Sigismond, examinant la foule, essaient de pénétrer ses pensées secrètes.

« — J’ai la vie et la mort dans mes mains. Entendez-vous, rebelles ? m’entendez-vous ? Celui qui s’agenouillera, la vie peut lui sourire encore ! » La troupe des chevaliers reste immobile.

« Les trente chevaliers, les trente héros, sont des cœurs dévoués à la patrie. Le héros, quand le devoir l’ordonne, sait sacrifier sa vie ; jamais, jamais il ne tremble.

« Mourez donc tous ensemble ! s’écrie le roi ; vous appartenez au bourreau. Mourez tous, et périsse, s’il le faut, périsse avec vous un million d’hommes ! »

« Les trente chevaliers marchent à l’échafaud d’un pas résolu et fier. À force de frapper avec sa lourde hache, il est fatigué déjà, l’homme exercé au meurtre.

« Sur la lugubre place du supplice, pas un gémissement ne se fait entendre, pas une plainte ne retentit ; seulement des lèvres tremblantes du peuple s’échappe un soupir étouffé.

« Quel est celui-là qui des trente héros est resté le dernier ? Qui est-il, qui est-il, cet homme impatient de se dévouer comme ses compagnons, de partager cette glorieuse mort ?

« Tel le chêne gigantesque, ornement de l’épaisse forêt séculaire, élève sa tête sans crainte, car la hache elle-même, avec son tranchant qui étincelle, n’ose s’en approcher qu’en tremblant,

« Tel le héros, le grand chêne, attend avec majesté le coup qui va l’abattre. Son attitude est intrépide, il regarde le bourreau en face ; c’est lui, c’est Konth, le chevalier au cœur de fer !

« Peuples, sachez-le, ce n’est pas un vil malfaiteur qui paraît devant vous sur cet échafaud, c’est un homme, un loyal soldat du droit qui va périr sous la main du bourreau !

« Un coquin renie Dieu pour sauver sa vie ignoble et servile. La mort affranchit le héros des chaînes honteuses, et lui donne une riche couronne de lauriers.

« Ma mort, comme celle de mes compagnons, est un sacrifice sanglant, source de bénédictions pour la patrie, pour Sigismond source de malédictions et de remords ! »

« Ainsi parle le héros, et le bourreau achève son œuvre. Le soleil s’assombrit, la nature se voile… Ainsi sont tombés les