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et le plus confiant, telle est la double tâche que s’est proposée Vörösmarty. L’extrême douleur peut décourager les âmes ; la foi dans l’avenir peut faire oublier les misères présentes et engendrer l’inertie : il faut souffrir et ne pas se décourager, il faut espérer sans renoncer à l’action. Vörösmarty est demeuré fidèle au développement de ces principes, et, léguant à ses successeurs de beaux exemples de poésie, il leur a légué surtout une grande tradition morale.

Quant à Petoefi, ce n’est pas seulement à une prédication qu’il a consacré son talent ; sa vie entière est la mise en œuvre de ce programme. La tradition que le poète savant a fondée d’une manière abstraite prend un corps chez le poète populaire. Chacune de ses paroles est une action. Il ne dit pas : « Souffrez ! espérez ! » mais il souffre et il espère. Il appelle la lutte, il engage la bataille, bataille tout idéale d’abord, bataille contre la destinée, contre un passé funeste ; mais bientôt, quand la Hongrie combat pour son indépendance, et que le poète, devenu soldat, tombe dans cette guerre sainte, les batailles où il sacrifie sa vie semblent la continuation toute naturelle de ses expéditions poétiques. Quelle unité dans cette tumultueuse existence ! quel harmonieux développement de l’esprit et de l’âme à travers tant de passions orageuses ! Ce que Vörösmarty avait si noblement enseigné, Petoefi le mettait sous les yeux de tous avec la plus généreuse audace ; le drame de sa vie et de sa mort complétait le drame de ses chants. Désormais, grâce à ces deux hommes, le rôle de la poésie hongroise au XIXe siècle était nettement défini ; était-ce le moment de chanter les joies du printemps et les rêves des nuits d’été ? La poésie devait être la voix du peuple, la gardienne des traditions viriles, en attendant qu’elle devînt le clairon des batailles. Tout poète qui oublie d’entretenir le sentiment national et de préparer les fils d’Arpad aux épreuves de l’avenir est infidèle à sa mission.

C’est à ce point de vue qu’il convient de juger les poètes lyriques hongrois qui ont prétendu recueillir l’héritage de Vörösmarty et de Petoefi. Gardons-nous bien cependant de leur appliquer étroitement ces principes, et n’allons pas emprisonner la poésie en croyant l’anoblir. L’imagination a ses franchises ; les devoirs de la vie publique, si sacrés et si impérieux qu’ils puissent être, ne sauraient anéantir le droit de la vie individuelle. Il est des sujets que la prescription n’atteint jamais : aimer, souffrir, prier, c’est le thème éternel du génie lyrique. Celui qui développe en soi les facultés qu’il a reçues du ciel, celui qui obéit loyalement à la vocation de sa nature, travaille au profit de la communauté sociale, car le bien de tous, c’est-à-dire la gloire et la prospérité de la patrie, se compose de