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que la puissance populaire fût soumise à un sérieux contrôle ; ils ne cherchaient pas moins à remplacer par des combinaisons conservatrices à l’usage de leur pays les vieilles garanties de la liberté anglaise. Ils acceptaient sans doute l’état social démocratique, mais en l’acceptant ils repoussaient toute la politique de l’école radicale. Pour s’en assurer, il suffit de comparer leur œuvre avec les maximes de cette école.

La doctrine de l’école radicale peut se résumer ainsi : — tout homme a une volonté, seule loi de l’individu. Tous les hommes ont un droit égal à faire leur volonté ou du moins à concourir à la formation de la volonté générale, seule loi de la société. Recueillir et dénombrer les volontés individuelles, faire prévaloir la volonté générale, tel doit être le but, le seul but, de toute organisation politique. Aussi point de pouvoir qui n’émane directement du peuple et qui ne reste constamment sous sa dépendance, point de fonction qui ne soit élective, point d’élection qui n’ait pour base la population et qui ne se fasse au suffrage universel, point de mandat qui ne soit impératif et révocable, ou pour le moins temporaire et à court terme.

La constitution des États-Unis porte successivement atteinte à toutes ces règles. Le sénat est élu, non par le peuple, mais par les législatures locales, et les divers états y ont le même nombre de représentans, quelle qu’en soit d’ailleurs la population. La magistrature fédérale n’est point élective, et elle est inamovible. La chambre des représentans seule est nommée directement par le peuple ; mais en droit chaque état est libre de définir par sa loi d’élection ce qu’il entend par le peuple, et en fait le suffrage restreint s’est maintenu dans la plus grande partie de l’Union plusieurs années après l’adoption de la constitution. Enfin nul mandat n’est impératif, et celui des sénateurs dure six ans.

C’est pour avoir été conçue dans un esprit d’indépendance à l’endroit du principe de la souveraineté du nombre que la constitution des États-Unis a pu fournir à Washington le moyen de fonder un grand gouvernement ; c’est pour avoir cessé depuis 1801 d’être appliquée conformément à l’esprit dans lequel elle avait été conçue que cette constitution n’a pas atteint pleinement le but que se proposaient les hommes qui l’ont faite. Depuis l’avènement de Jefferson au pouvoir, le frein qu’ils avaient voulu donner à la démocratie américaine a toujours été se relâchant, et son action est devenue si faible, que le despotisme de la multitude serait aujourd’hui tout à fait insupportable en Amérique, s’il n’était tempéré par deux circonstances accidentelles dont les États-Unis ont seuls le privilège : l’étendue gigantesque de leur territoire et l’ancienne division du