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de condition, de toute supériorité qui n’est pas son ouvrage, de toute personne publique qui n’est pas un fonctionnaire salarié ; comme la démocratie, le pouvoir absolu tend à niveler le pays, à raser les défenses naturelles de l’ordre et de la liberté, à détruire au sein de la nation ces diversités salutaires de situation, de sentiment, d’opinion, qui sont une des conditions de la santé des peuples ; il travaille comme elle à donner à toutes les parties du corps social cette uniformité funeste de tempérament qui au même moment les rend accessibles aux mêmes maux, et qui livre ainsi le pays tout entier à toutes les contagions, à celle de la léthargie comme à celle de la fièvre. Le pouvoir absolu conduit donc à la même démoralisation, à la même désorganisation que la démocratie livrée à elle-même, et il y conduit plus vite, parce que son action est plus constante, plus savante, plus latente, parce que ses adversaires sont plus déconcertés et plus désarmés. Et en même temps qu’il rend les peuples indignes de la liberté et incapables de se défendre par eux-mêmes contre le désordre, le pouvoir absolu ne peut répondre de maintenir l’ordre même matériel et présent, car il ne peut répondre de durer. Son existence est essentiellement factice et précaire. Condamné à miner autour de lui tout ce qui s’élève, tout ce qui résiste, tout ce qui servirait de soutien ou de fondement à un pouvoir régulier, il ne vit qu’à la condition de ne s’appuyer que sur lui-même, de toujours rester à la merci des ouragans, comme la maison bâtie sur le sable dont parle l’Évangile : « Et la pluie est tombée, et les torrens se sont débordés, et les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison-là ; elle est tombée, et sa ruine a été grande. »

Sans un partage effectif de l’autorité entre des pouvoirs divers se limitant, se contrôlant, se soutenant les uns les autres, il n’y a point de stabilité pour l’état, il n’y a point de sécurité pour les citoyens, il n’y a point de correctif aux inconvéniens de l’état social démocratique. Ce principe, qui devrait être toujours présent à l’esprit des conservateurs français, a guidé la sage assemblée à laquelle les États-Unis doivent leur constitution. On a beaucoup dit et l’on répète sans cesse que la constitution des États-Unis repose tout entière sur le principe absolu de la souveraineté du peuple : c’est une grave erreur. Les membres de la convention de 1787 n’étaient rien moins que des radicaux ; ils s’étaient réunis pour donner un frein à la démocratie américaine, ils portaient des regards d’admiration et de regret sur les institutions britanniques ; ils enviaient à l’Angleterre sa forte et libérale aristocratie, et s’ils étaient résignés à se passer d’une chambre héréditaire, s’ils reconnaissaient l’impossibilité d’opposer en Amérique le pouvoir modérateur d’une classe privilégiée aux emportemens de la foule, ils ne persistaient pas moins à vouloir