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la création des districts scolaires en avouant qu’on les destinait à devenir les noyaux de petites communes plus démocratiques encore dans leur organisation que celles du Massachusetts. Ce fut la faute commise par Jefferson ; il montra trop à ses amis virginiens la profondeur de son dessein, et malgré le soin qu’il prit de s’adresser à leurs sentimens de rivalité à l’égard du nord, malgré l’habileté avec laquelle il leur peignit l’action vivifiante que les libertés municipales exerçaient dans la Nouvelle-Angleterre et la force agressive que l’intervention constante des masses dans les affaires publiques donnait à cette petite fraction de l’Union, il s’imposa vainement la loi, « à l’imitation de Caton terminant tous ses discours par le Carthago delenda est, de terminer tous ses avis par un : divisez les comtés en districts. »

Il se consola en fondant l’université de la Virginie, œuvre très difficile, qui fut l’amusement et l’honneur de ses vieux jours. L’enseignement. supérieur était encore plus négligé et moins populaire en Virginie que l’enseignement primaire. Le collège de William and Mary, où Jefferson avait achevé ses études, était tombé en décadence, et l’on ne pouvait plus songer à le relever. Établi dans un lieu malsain, fermé par sa vieille discipline aux dissidens, presque désert et ne vivant que de sa dotation, c’était le contraire de la brillante université « organisée à la moderne, » à laquelle Jefferson n’avait cessé de rêver depuis la révolution. La création d’un tel foyer intellectuel devait être, il est vrai, fort coûteuse, et malgré tout leur désir d’être agréables à Jefferson, ses amis ne se montraient guère disposés à en faire eux-mêmes les frais. Une souscription ouverte en 1814 ne produisit à grand’peine que 44,000 dollars : il fallut s’adresser à la législature. Jefferson dépensa, pour lui arracher de l’argent, de véritables trésors, de finesse, d’activité et de persévérance poursuivant les membres de ses lettres et de ses discours, leur parlant tantôt du salut de la république et de la démocratie, tantôt des intérêts du sud mis en péril par l’usage d’envoyer leurs enfans dans les universités abolitionistes du nord, se faisant abandonner par la Virginie au profit de son œuvre de mauvaises créances sur le gouvernement de l’Union, usant de tout son crédit à Washington pour les recouvrer, puis se prévalant à Richmond de ses succès inattendus pour demander davantage. Le 1er août 1818, une commission chargée par la législature de choisir l’emplacement de la nouvelle université se réunit enfin sous la présidence de Jefferson. Madison et Monroe n’étaient venus y siéger que pour s’effacer et pour augmenter par les marques de leur déférence le prestige de l’habile patriarche. D’un accord tacite et unanime, on le laissa maître de diriger à sa guise l’exécution du projet qu’il avait conçu. L’emplacement