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homme de génie. M. Malibran a mieux réussi à raconter la vie de son maître, qui était un homme excellent à ce qu’il semble, plein d’aménité pour les personnes qu’il admettait dans sa familiarité. Spohr, qui a beaucoup voyagé pendant sa longue carrière de soixante-quinze ans, est venu aussi à Paris en 1819. Il n’avait pas conservé un très bon souvenir de son séjour dans la capitale de la France, et il jugeait les maîtres et les artistes de l’école française avec sévérité. Du reste, Spohr n’épargnait pas même le grand génie de Beethoven, dont il a dit n’avoir jamais pu comprendre les dernières compositions, parmi lesquelles se trouvent la Symphonie avec chœurs et plusieurs des plus beaux quatuors ! Le livre de M. Malibran, qui se lit avec intérêt, ne peut pas dispenser de connaître l’autobiographie que Spohr a laissée de lui-même, et qui se publie par livraisons en Allemagne. C’est là que Spohr a laissé les élémens d’une étude curieuse à faire sur ce grand musicien, ainsi que sur toute la nouvelle école qui s’est élevée depuis la mort de Mozart.

L’enseignement populaire de la musique en France est depuis quelques années le sujet d’un vif débat. Des méthodes nouvelles se sont produites avec beaucoup de fracas, qui ont demandé d’abord humblement d’être écoutées, d’être examinées avec calme et impartialité. Des jugemens divers ont été portés sur ces méthodes, qui ont fini par élever leurs prétentions jusqu’au système et par dire aux principes connus de l’enseignement existant : La maison m’appartient, c’est à vous d’en sortir. Ce débat contradictoire a donné lieu à un grand nombre d’écrits et de brochures que nous avons sous les yeux et qui sont signés de noms considérables dans l’art aussi bien que dans la politique. Comme toujours, les intérêts matériels et l’amour-propre des différens champions se sont introduits dans cette question de pure pédagogie et l’ont fait dévier de sa route pacifique. Nous nous sommes abstenu jusqu’ici de nous engager dans la mêlée et de prendre parti pour ou contre les réformateurs de la science officielle de l’enseignement populaire de la musique. L’art grand et noble, tel que nous l’aimons, n’ayant presque rien à démêler avec ces questions puériles de quiproquos et d’a, b, c, nous avons contemplé la lutte, non pas avec indifférence, car nous avons sur ces matières une opinion très arrêtée, mais en observateur patient qui écoute les bonnes raisons qui peuvent être dites par les uns et par les autres. En attendant que nous abordions directement cette question épineuse de l’enseignement populaire de la musique en France, nous voulons aujourd’hui recommander un petit essai qui résume avec clarté tous les faits historiques relatifs au sujet qui nous occupe.

Comme le Conservatoire de musique, comme l’École polytechnique et presque tous les grands élémens de la société moderne, l’enseignement populaire de la musique en France date de la révolution. Les quatre ou cinq cents maîtrises qui existaient avant 1789 avaient pour mission d’élever des enfans de chœur, des chantres et des maîtres de chapelle pour le service de l’église. S’il est sorti de ces conservatoires de musique religieuse quelques belles voix dont les théâtres ont profité, ce fut un bon effet du hasard, mais non pas un résultat prévu par les instituteurs des maîtrises. Ce fut M. Jomard, de l’Institut, qui importa de l’Angleterre les principes de l’enseignement de Lancastre, d’origine, française, au dire de M. Boiteau, l’auteur du