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rendre injustes : sans doute il eût mieux valu, pour nous, en sortir par une de ces résolutions radicales et soudaines dont le gouvernement piémontais nous donne l’exemple ; mais nous ne pouvons méconnaître l’adresse infinie et la force de caractère avec lesquelles M. de Cavour a su profiter pour sa cause de notre fausse position. Le roi Victor-Emmanuel a brûlé ses vaisseaux et joue sa couronne avec une énergie non moins remarquable. Il s’est bien fait, sans compromis, sans arrière-pensée, ce que Mirabeau appelait le roi d’une révolution. L’Italie, son roi, son ministre, viennent de vivre des siècles en quelques jours. Cela peut nous déplaire, nous attrister, nous effrayer ; mais il serait absurde de fermer volontairement les yeux sur des faits, sur une réalité si extraordinaire. Il ne servirait de rien de contester l’unanimité des adhésions qu’entraîne en ce moment la politique de M. de Cavour, de dire qu’au-dessous des agitateurs et des audacieux qui conduisent les affaires, il y a une nation passive, défiante, indifférente. Quand cela serait vrai jusqu’à un certain point, quand il y aurait au fond de l’Italie des masses qui ne participeraient pas au bouillonnement de la surface, peu importerait. Les hommes qui sont en évidence à la tête du mouvement italien forment un corps assez nombreux, assez illustre, assez décidé, pour entraîner dans leurs résolutions, comme il est plus d’une fois arrivé à des hommes de même trempe placés dans des conditions analogues, les destinées de tout un peuple. Ces hommes disposent en ce moment des ressources financières et militaires de vingt-quatre millions d’âmes, et ils se sont montrés capables de s’en bien servir. Les faits de guerre qui viennent de s’accomplir ont infailliblement accru la force morale et matérielle de l’armée italienne. Les Italiens comptent avoir cet hiver une armée de deux cent cinquante mille hommes pleine de solidité et d’ardeur. Les soldats fournis par les populations les plus pacifiques de l’Italie donnent, nous écrit-on de Turin, des résultats inespérés. La fièvre militaire s’est emparée de la nation. Tout le monde attend avec une impatience singulière l’occasion de faire ses preuves. Le gouvernement prenant en mains la direction des affaires dans les Deux-Siciles, on est sûr du dedans ; on ne voit de périls qu’au dehors, et c’est une consolation, ajoutent nos correspondans italiens, pour ceux qui aiment l’Italie, de penser qu’elle ne pourrait périr que sous les coups de la violence étrangère. Tenter la guerre pour comprimer un peuple qui se trouve dans une telle effervescence de passion patriotique serait une faute irréparable. Cette guerre ne servirait qu’à faire ce qu’on voudrait détruire, l’unité de l’Italie. Ce résultat est si évident qu’il n’y a que trop lieu de penser que l’Italie elle-même ne veuille bientôt chercher dans une telle lutte non-seulement l’achèvement de l’indépendance de son territoire, mais l’épreuve et la consolidation de son unité politique.

Le monde se trouve donc en présence de deux révolutions extraordinaires liées l’une à l’autre, et dont, bien qu’il ait été possible de les pressentir depuis quelques mois, il est permis de dire, tant la marche des événemens a été rapide et tant la politique des gouvernemens intéressés à les retarder