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l’influence de l’Angleterre, naturellement servie par les bons offices de la Prusse, n’est point étrangère aux résolutions qui ont étendu jusqu’à la Russie les réconciliations de l’Autriche. Lord John Russell, qui vient d’accompagner en Allemagne la reine Victoria, a eu, dit-on, avec le ministre prussien des conférences suivies, et il n’est que naturel de supposer qu’en conséquence la pensée de l’Angleterre ne sera point absente des conférences de Varsovie. Après le refroidissement qu’ont éprouvé nos rapports politiques avec l’Angleterre, ces nouvelles combinaisons qui s’opèrent entre les grandes cours constituent une situation, nous ne dirons pas grave, mais délicate, et qui donne à réfléchir.

Nous ne savons si ces mouvemens entre les grandes cours qui se manifestent aujourd’hui par l’entrevue de Varsovie vont passer en habitude et aboutir à ce que l’on appelait autrefois dans le langage diplomatique un système. Sans étendre si loin les prévisions, les circonstances présentes suffisent pour expliquer le concert de Varsovie. On ne pouvait pas attendre, nous l’avons dit bien des fois, que les monarchies européennes laissassent s’accomplir le triomphe de principes semblables à ceux qui se sont révélés avec tant d’impétuosité en Italie, sans comprendre les périls qu’elles couraient solidairement et sans faire une tentative de résistance collective. Par un juste retour des choses, les trois puissances du Nord, qui se sentent menacées par les coups portés au droit public établi, au droit écrit par ce droit nouveau qui se fonde sur les vœux des nationalités, sont justement celles qui, en se partageant, il y a bientôt un siècle, la Pologne, ont inauguré l’ère des attentats révolutionnaires contre le droit historique et national, et ont les premières et de la façon la plus inique méconnu la probité sur laquelle repose le droit public. C’est leur complicité dans la spoliation de la Pologne qui forme aujourd’hui leur péril commun, et crée entre elles un indestructible lien. Par un étrange contraste, c’est à Varsovie, c’est sur le cœur même du peuple dépouillé qu’elles se rencontrent aujourd’hui pour venir protester contre la spoliation des états de l’église et le renversement de la dynastie napolitaine, comme si le nom même de la ville d’où ces résolutions seront datées n’en était pas la vivante réfutation. Par une fatalité non moins singulière, c’est la Prusse, le pays créé par Frédéric II, le moins scrupuleux des conquérans et l’instigateur le plus opiniâtre du partage de la Pologne, la Prusse qui détient pourtant le moindre fragment de la nation polonaise, et que son génie et ses destinées appellent à représenter l’Allemagne libérale, c’est la Prusse qui vient encore s’entremettre entre l’Autriche et la Russie, et qui apporte, dit-on, le plus de vivacité dans son opposition aux aspirations infatigables de la Pologne.

Réunies par leur vieille complicité polonaise, les cours du Nord semblent devoir à Varsovie concentrer leurs délibérations sur les affaires d’Italie. On affirme, et cela n’est point invraisemblable, que l’Autriche voudrait obtenir de la Russie et de la Prusse une sorte de verdict qui lui permît de commen-