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nos officiers l’épée à la main, ne sont pas à Rome pour faire de l’eau bénite. Les Piémontais, nation militaire et brave, savent qu’il est des circonstances où toutes les considérations cèdent à l’honneur militaire. Nous pouvions donc leur dire, et leurs souvenirs comme leurs aspirations militaires les rendaient dignes de nous comprendre : « Pardon, messieurs, vous venez en ennemis sur un territoire dont nous gardons le souverain en amis. Ne nous dites pas vos raisons ; il est possible qu’elles soient bonnes, au fond peut-être ne sommes-nous pas éloignés de penser comme vous : nous les ferons valoir ensemble ailleurs et dans un autre moment, s’il vous plaît. Nous n’avons pas maintenant à discuter si nous sommes chez le pape ou chez le Grand-Turc : étant ici, nous sommes chez nous. Nous sommes esclaves de la circonstance et du devoir étroit qu’elle nous crée. Il ne nous est pas permis pour l’instant d’avoir plus d’esprit et d’éloquence qu’un factionnaire. Permettez donc que nous vous disions en amis le mot que nous avons été forcés de dire en ennemis aux Russes sur le Pruth, aux Autrichiens sur le Tessin : On ne passe pas ! » Malheureusement il n’y a eu qu’un temps très court où cette conduite eût pu être tenue avec efficacité, l’intervalle qui s’est écoulé entre l’envoi de l’ultimatum piémontais et cette rencontre de Castelfidardo, qu’il eût été si désirable de prévenir pour ménager la délicatesse des sentimens français, et aussi, nous le répétons, pour ne pas compromettre l’intérêt de la cause italienne en France.

Il ne restait plus que la troisième conduite, et c’est celle que le gouvernement français paraît avoir adoptée. Nous avons protesté par le rappel de notre ministre à Turin contre l’entreprise du Piémont ; mais le cabinet de Turin ayant passé outre, d’un côté la crise italienne s’est développée dans toute sa gravité, et de l’autre il ne reste plus que cet antagonisme moral qu’opposent la plupart des grandes puissances européennes au mouvement révolutionnaire de la péninsule, antagonisme auquel le gouvernement français s’associe. Dans les deux sens, les faits se déroulent : en Italie, l’invasion du royaume de Naples succède à l’occupation des états de l’église, et la politique de M. de Cavour reçoit la sanction à peu près unanime du parlement de Turin. En Europe, les souverains du Nord vont se réunir à Varsovie, et s’apprêtent à prendre en considération les affaires italiennes. Quant à la France, elle occupe, une place intermédiaire entre le Piémont, qu’elle désapprouve et désavoue, le Piémont, qui parait avoir abusé de son amitié, mais qui, malgré tout, demeure un ami nécessaire, et les grandes puissances, dont nous proclamons bien l’autorité sur le règlement des arrangemens territoriaux de la péninsule, mais dont il nous est difficile de voir avec complaisance les mouvemens et les combinaisons particulières. L’unité de l’Italie s’accomplit dans les faits, et les élémens d’un congrès se préparent à Varsovie. C’est le gouvernement français qui a le premier invoqué la haute juridiction européenne, et qui le premier a prononcé le mot de congrès. La France a décline ainsi toute responsabilité propre, et a renoncé à toute action directe et distincte dans les événemens actuels ; elle