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tant faite aux tribunaux de connaître des actes d’administration, quels qu’ils soient. Le ministre ainsi mis hors de cause, d’ailleurs homme de bien, n’était plus au pouvoir ; aucun compte de sa conduite ne pouvait plus lui être demandé par les députés du pays : il n’était justiciable que de l’opinion publique, par suite du système de libre discussion qui prévalait alors dans les journaux et dans les chambres ; mais qu’on suppose un autre régime de gouvernement moins favorable à la publicité : si l’injustice du ministre ne peut être réparée par les tribunaux, non-seulement elle sera impunie, mais elle restera ignorée. Une telle impuissance dans le droit public d’une grande nation touche presque au scandale, si le législateur ne s’empresse pas de la réparer.

Plus d’une lacune doit donc être comblée dans notre législation criminelle, si l’on veut protéger efficacement la liberté individuelle. Sans doute il serait plus agréable de persuader à son pays que ses lois doivent toujours servir de modèle aux autres peuples, de l’entretenir ainsi dans le contentement de lui-même avec une complaisance qu’on appellerait patriotique. C’est ainsi qu’on le flatte, mais ce n’est pas ainsi qu’on le sert. Quand un long parcours lui reste à faire pour se rapprocher d’un but qu’il croit à tort avoir atteint déjà, lui laisser croire qu’il y est arrivé, c’est vouloir le détourner de se mettre en marche. Aussi, fût-on accusé de dénigrement, ne faut-il pas craindre de lever tous les voiles qui peuvent tromper les regards, parce que les fausses apparences de bonnes lois ne servent qu’à perpétuer les mauvaises. La toute-puissance est bien plus dangereuse quand elle est déguisée sous une espèce de parure légale, et, comme le disait M. Royer-Collard, le meilleur obstacle à lui opposer, c’est de lui conserver son nom. Il importait dès lors de rechercher si une liberté dont toutes les autres semblent dépendre, la liberté individuelle, était à l’abri des atteintes d’un pouvoir discrétionnaire, quand même la sagesse des gouvernans ne laisserait apercevoir les abus que de loin. Il résulte de cette enquête qu’elle peut être invoquée comme inscrite dans nos codes, mais qu’en cas de besoin légitime elle ne peut être sûrement défendue. Pour qu’elle puisse servir de point d’appui, il faut que l’opinion publique la prenne sous sa garde, et l’œuvre de réforme ne sera pas entreprise par le législateur, si les intéressés l’attendent en silence au lieu de la réclamer instamment. Ces intéressés ne sont pas seulement ceux qui viennent s’asseoir sur les bancs des tribunaux correctionnels ou des cours d’assises, pour y être condamnés ou acquittés ; ce sont aussi ceux contre, lesquels sont dirigées des poursuites qui n’aboutissent souvent à aucun jugement : or qui, parmi les plus honnêtes, peut se flatter de n’être jamais poursuivi, fût-ce par erreur ? Ces intéressés