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au secret à certaines conditions, soit enfin pour prescrire l’élargissement du prévenu au-delà d’un certain terme de détention, s’il n’était pas jugé auparavant. En outre, il s’agirait de garantir au détenu dans de larges limites un droit de recours contre le juge qui aurait manqué aux prescriptions de la loi, et l’on ferait ainsi passer dans notre législation cette belle parole d’un grand orateur anglais, Burke : « Partout où il y a une injustice, il faut qu’une plainte puisse être entendue. » Enfin ne conviendrait-il pas, dans une certaine mesure, de faire tenir compte au prévenu qui est condamné de la durée de la détention préventive, laquelle autrement est une prolongation anticipée de la peine ? Et d’autre part ne serait-il pas juste d’indemniser le prévenu mis en liberté, qui a dès lors un droit acquis à une réparation ?

Ces garanties multipliées en faveur des prévenus seront peut-être mal vues par certains légistes : ils pourront prétendre qu’en leur donnant force de loi, on traiterait les prévenus comme des innocens ; mais à coup sûr, en refusant d’admettre ces garanties, on traite les prévenus comme des coupables. S’il y a des légistes disposés à ne pas reculer devant cette extrémité, on pourrait les comparer à ce capitaine qui, chargé après une bataille d’enterrer les morts, faisait jeter les corps pêle-mêle dans une large fosse ; on lui représentait que plusieurs donnaient encore signe de vie : « Bah ! répondit-il, s’il y en a qui ne soient pas morts, tenez-les pour tels ; à vous en croire, il n’y en aurait pas un à enterrer ! »

On ne saurait surtout exiger du législateur trop de sollicitude lorsqu’il s’agit de prévenir ou de réprimer les attentats de la détention arbitraire. En effet, la détention préventive, quand elle est régulièrement ordonnée, ne doit être surveillée qu’à raison des abus qui peuvent en résulter, tandis que la détention arbitraire est par elle-même l’abus contre lequel il faut donner aux citoyens tous les moyens de défense nécessaires. Comment ne pas répondre à ce cri de douleur de l’homme injustement détenu : « Pourquoi m’a-t-on arrêté ? De quoi suis-je accusé ? Je demande des juges, c’est la seule grâce que je réclame. » Pour mettre sûrement la liberté individuelle à l’abri des entreprises illégales, il importerait de réserver exclusivement au juge d’instruction le droit d’ordonner la détention des prévenus, sauf dans les cas de flagrant délit, s’il y a poursuite pour crime, de telle sorte que tout citoyen arrêté fût aussitôt remis au magistrat chargé d’entendre sa défense. Les pouvoirs privilégiés attribués aux préfets en dehors du flagrant délit ne devraient pas être conservés, parce qu’ils ne peuvent être exercés avec une indépendance qui soit une suffisante garantie. En outre, il conviendrait de n’accorder à aucun agent, sauf dans le cas de flagrant délit,