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législateur ; les prévenus de flagrans délits pourraient enfin être détenus par ordre du juge. Ces prudentes réserves n’empêcheraient pas un principe salutaire de prévaloir dans notre législation ; la détention préventive cesserait désormais d’être, à la volonté du juge, le sort commun de tous les prévenus. À l’égard des prévenus de crimes, le législateur, sans abandonner de sages précautions, pourrait peut-être également renoncer à la rigueur qui a fait interdire au juge la mise en liberté des prévenus : le prévenu d’un crime ne doit pas sans doute être autorisé à réclamer sa liberté, quelle que soit la caution qu’il offre à la justice ; mais il semble injuste de vouloir, par une prohibition inflexible, l’empêcher d’en jouir, en ne permettant pas au juge d’apprécier si la détention préventive est nécessaire ou bien ne peut être suppléée par le cautionnement.

La liberté sous caution ainsi étendue ne serait pas une fiction légale ; elle serait utilement mise à profit, et pour en assurer encore le bénéfice à un plus grand nombre de prévenus, le législateur n’aurait qu’à permettre une caution autre qu’un dépôt d’argent, qui ne peut être abaissé au-dessous d’une certaine somme. Il faudrait déclarer recevable le cautionnement, quelle qu’en soit la valeur, dès qu’il paraît suffisant au juge, et assimiler au cautionnement tout engagement d’un répondant solvable, au grand avantage des ouvriers, des travailleurs au profit desquels les patrons pourraient dès lors utilement intervenir. Sans doute la liberté sous caution, ainsi rendue plus accessible dans l’intérêt des pauvres, profiterait aux riches plus souvent encore ; mais la détention préventive n’est pas une peine qu’il faille appliquer également à tous : elle n’est qu’une servitude qu’il importe d’épargner à l’aide de tout moyen qui en tient lieu, et l’égalité du joug ne peut jamais être une garantie d’affranchissement. Il est vrai qu’une certaine école de publicistes couperait volontiers les basques à tous les habits pour en faire des vestes, afin de rendre tous les vêtemens semblables ; mais on peut viser à une égalité meilleure en conservant les basques à tous les habits et eh s’efforçant de les ajouter, autant qu’on peut, à toutes les vestes. Avec ce programme, on avance vers la liberté, avec l’autre on recule vers la tyrannie.

La détention préventive une fois contenue dans d’étroites limites, il ne serait pas inutile de déterminer les moyens de protection qui devraient être assurés aux détenus régulièrement privés de leur liberté ; plus d’une précaution devrait être prise par le législateur, soit pour prohiber l’emploi facultatif d’un mandat qui, comme le mandat de dépôt, rend illusoires les formalités salutaires requises dans l’intérêt des détenus, soit pour soumettre l’ordonnance de mise