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D’ailleurs, quand même la liberté individuelle ne serait pas laissée à la discrétion du pouvoir judiciaire ou même du pouvoir administratif, elle serait encore protégée bien insuffisamment contre les injustices et les attentats dont les citoyens pourraient être les victimes. En effet, ce n’est point assez que les pouvoirs les plus étendus aient été prodigués aux magistrats et à certains fonctionnaires lorsqu’il s’agit de l’arrestation ou de la détention. Si ces pouvoirs sont dépassés, la réparation qui doit être obtenue est atténuée par l’indulgence du législateur, et les moyens de se faire rendre justice ne sont pas sûrement garantis aux intéressés. Les peines les plus rigoureuses sont, il est vrai, prescrites par la loi contre tout attentat à la liberté individuelle ; mais elles ne sont établies qu’à l’égard des citoyens qui, sans ordre des autorités constituées, se seraient rendus coupables d’une arrestation ou d’une détention privée : ils sont punis des travaux forcés à temps ou à perpétuité. C’est là, dans l’état actuel de notre société, qui ne se prête guère à ce genre de captivité, un luxe de sévérité peut-être superflu. Cette pénalité serait à coup sûr plus nécessaire, sinon plus justifiée, quand l’attentat est imputable à un fonctionnaire qui serait sorti de ses attributions, ou qui aurait manqué aux devoirs que la loi lui impose, en disposant illégalement de la liberté d’un citoyen ; mais le fonctionnaire, s’il est reconnu judiciairement coupable, est singulièrement ménagé. Il ne peut craindre, outre les dommages-intérêts, que la dégradation civique, qui se réduit à l’exclusion du condamné de toutes fonctions publiques et à la privation de quelques droits civils et de famille. S’il s’agit d’un gardien de prison, l’emprisonnement correctionnel de six mois à deux ans, l’amende de 16 francs à 200 francs, tiennent lieu de la dégradation civique. Tout fonctionnaire peut d’ailleurs à bon droit se retrancher derrière l’ordre qu’il aurait reçu de ses supérieurs, et le ministre a ainsi la faculté de mettre à couvert chacun de ses agens, sans s’exposer sérieusement à se. découvrir lui-même.

Il est vrai que le code pénal menace du bannissement tout ministre qui aurait arbitrairement privé un citoyen de sa liberté ; mais sous la législation du code, le bannissement ne pouvait être applicable au ministre que d’après les dispositions du sénatus-consulte du 28 floréal an XII, qui n’étaient guère susceptibles d’être mises en pratique. En effet, la commission sénatoriale chargée de la protection de la liberté individuelle ne pouvait mettre en cause devant le sénat le ministre prévenu d’arrestation illégale qu’après trois invitations successives, renouvelées dans l’espace d’un mois, auxquelles le ministre n’aurait pas déféré, et elle devait renoncer à toute poursuite, si l’arrestation, quoique contraire à la loi, lui pa-