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Pour compléter l’examen des articles de loi qui disposent de la liberté individuelle, il faut ajouter que, dans certains cas, le citoyen peut être arrêté sans emploi de mandat, mais qu’il doit alors être conduit, avant toute détention, devant le magistrat compétent. Ce droit d’arrestation extrajudiciaire est attribué à tout dépositaire de la force publique, et même à tout citoyen ; mais il n’a été reconnu par le législateur que s’il s’agit d’un flagrant délit ou bien de cas assimilés au flagrant délit, sous la condition que le prévenu soit passible d’une peine criminelle. Or cette restriction ne pouvait guère passer dans la pratique, et l’insuffisance de la loi l’a fait démesurément étendre. Il paraissait en effet contraire à l’ordre public de laisser la liberté de s’enfuir à certains délinquans qui n’ont à encourir qu’une peine correctionnelle : on ne pouvait imposer à l’agent de l’autorité le rôle de spectateur en présence de tel ou tel délinquant, parce que le délit n’aurait pas le caractère d’un crime ; on ne pouvait interdire au citoyen qu’on vole ou qu’on frappe le droit de s’emparer sur-le-champ du coupable pour le remettre à l’autorité compétente, parce que le coupable n’est justiciable que de la police correctionnelle. Aussi la jurisprudence a-t-elle changé la loi en l’interprétant suivant les besoins de la répression ; elle a fait ressortir du texte de l’article une distinction peut-être fictive entre le flagrant délit et les cas assimilés au flagrant délit, et quand il s’agit de flagrant délit proprement dit, elle n’a contenu le droit d’arrestation immédiate dans aucune limite : elle ne l’a plus restreint aux cas où le prévenu est passible d’une peine criminelle, elle l’a étendu aux cas où le prévenu n’est passible que d’une peine correctionnelle, quelle qu’elle soit, ne fût-ce qu’une amende ; elle a permis qu’on s’emparât instantanément de sa personne, soit qu’il s’agisse d’un crime, soit qu’il s’agisse d’un délit. La restriction du code a donc été éludée sans réserve, et la jurisprudence a retourné contre le prévenu la disposition trop protectrice qui, même dans le cas d’un délit, fût-il flagrant, le mettait à l’abri d’une arrestation sans mandat.

Toutefois, tant qu’il ne s’agit que de flagrant délit, le droit d’arrestation sans mandat, si étendu qu’il soit, ne peut donner lieu qu’à de rares abus d’autorité ; mais s’il peut s’exercer en dehors des cas de flagrant délit, quand la culpabilité laisse prise au doute, la liberté des citoyens est bien plus sérieusement menacée. La jurisprudence l’a cependant reconnu et lui a donné place dans nos lois. Elle ne pouvait, il est vrai, l’attribuer à la police judiciaire, dont les droits sont rigoureusement limités au cas de flagrant délit ; mais elle l’a revendiqué au profit de certains agens, en leur permettant d’arrêter sur la voie publique, à la charge de les conduire devant le magistrat compétent, les délinquans, quels qu’ils soient, fussent-ils domiciliés, et