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par motif d’humanité, le juge se rend souvent responsable d’un autre abus. S’il ne veut pas avant d’avoir approfondi l’instruction, tenir en captivité le prévenu d’un crime, ne pouvant lui laisser sa liberté s’il l’interrogeait à titre de prévenu, il le cite comme témoin ; mais en le citant comme témoin, il doit lui demander de s’engager par serment à dire la vérité, et il le requiert ainsi de donner, s’il y a lieu, son témoignage contre lui-même sous peine de parjure. La liberté provisoire, qui n’est accessible qu’aux prévenus de délits, et seulement à titre de faveur, ne peut d’ailleurs en aucun cas être accordée sans condition ; elle doit toujours être subordonnée à un cautionnement, et le seul cautionnement déclaré recevable par la loi, c’est un dépôt en argent ou bien un engagement d’immeubles. De plus, le cautionnement en argent ne pouvait, tout récemment encore, être abaissé, en aucun cas, au-dessous de 500 francs. Un décret du gouvernement provisoire de 1848 a eu le mérite d’abroger cette disposition ; mais toutes les fois qu’il s’agit d’un délit qui a pu entraîner un dommage appréciable en argent, le cautionnement doit égaler le triple de la valeur du dommage, sans pouvoir être jamais abaissé-au-dessous de 500 francs. Dans le plus grand nombre de délits, cette condition onéreuse est donc conservée.

Ainsi le prévenu ne peut conserver sa liberté qu’en donnant à la justice un gage pécuniaire, et le bénéfice même de ce gage pécuniaire, dont les prévenus de crimes ne sont jamais admis à profiter, peut toujours être refusé aux prévenus de délits par le juge, si la détention préventive lui paraît préférable. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’un système qui laisse à la détention préventive une telle latitude expose un si grand nombre de prévenus dont la culpabilité n’est pas établie à être privés de leur liberté pendant tout le cours de l’instruction. La statistique judiciaire de 1845 évaluait le nombre des prévenus élargis ou acquittés après avoir été préventivement détenus a 19,000 par an, et celle de 1854 le faisait monter à 24,347 : ce nombre représente environ 400 sur 1,000. En laissant de côté les prévenus de crimes, nécessairement assujettis à la détention préventive, si l’on ne tient compte que des prévenus correctionnels, auxquels la liberté peut toujours être accordée, on trouve pour l’année 1852, sur 53,541 prévenus, tant acquittés que condamnés, 52,583 prévenus auxquels la liberté a été refusée, et 958 seulement qui l’ont obtenue moyennant caution. La détention préventive paraît donc être une règle qui comporte peu d’exceptions ; la privation de la liberté avant le jugement est devenue comme une formalité de procédure.

Ce n’est pas seulement la détention préventive qui, d’après notre code d’instruction criminelle, est applicable à tout prévenu ; le pré