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en arrêta toujours le progrès. Plusieurs personnes furent blessées ou moururent de frayeur. Du reste, les dégâts dans les maisons et les meubles ont été estimés au plus à 300,000 livres. — Du côté des Anglais, les bombes du Havre tuèrent beaucoup de monde ; on coula à fond une grande chaloupe pleine d’hommes qui servait les bombardes, ce qui les obligea de modérer leur feu, outre que leurs galiotes faisaient eau par l’ébranlement des mortiers, dont la charge était trop forte à 30 livres de poudre qu’ils y mettaient pour en augmenter la portée et en rendre l’effet plus dangereux. Ils prirent le 7 le parti de se retirer après avoir fait une prodigieuse dépense et laissé sur nos rivages beaucoup de cadavres et d’ustensiles qui dénotaient une grande perte de leur côté. » Tels furent les résultats d’une expédition dans laquelle l’un des plus grands hommes de mer de l’Angleterre, Rodney, n’eut à combattre que des officiers dont l’histoire n’a point enregistré les noms.

Les autres tentatives, qu’il serait sans intérêt d’énumérer, coûtèrent aux Anglais beaucoup plus qu’à nous, témoin l’aventure de sir Sidney Smith et du Diamant. Au printemps de 1796, l’illustre commodore s’était chargé de la police de la rade du Havre, et pendant la nuit du 18 avril il surprit auprès des jetées un petit corsaire. Son équipage fêta cette capture à l’anglaise, par de copieuses libations. Au milieu de ces réjouissances, un prisonnier nommé Lallemand, trompant la surveillance, largua le câble d’ancrage de la frégate : entraînée à la dérive par les courans de marée, celle-ci se jeta sur les bancs d’Honfleur et y fut prise par les pêcheurs accompagnés de leurs femmes, comme une baleine échouée. Les circonstances romanesques dont fut accompagnée plus tard l’évasion de sir Sidney Smith de la prison du Temple firent oublier la manière dont notre ingénieux compatriote lui en avait procuré l’entrée.

L’amiral Baudin, qui, pendant un long séjour au Havre, avait fait une étude attentive de la défense du port, remarquait que, dans ses entreprises, l’ennemi, gêné par les bas-fonds et les reviremens des courans de marée, tenu en respect par des batteries flottantes difficiles à tourner, n’avait jamais agi qu’avec une extrême circonspection ; mais toutes ces conditions lui paraissaient renversées par l’invasion de la vapeur. Le temps n’est plus où l’assaillant se signalait au loin par la hauteur de sa mâture, et où la direction du vent était à elle seule un avertissement. Bas sur la mer, cachant sa fumée dans la brume ou dans les nuages, le navire à vapeur est à peine aperçu qu’on l’a sur les bras, et les batteries flottantes qui suffisaient jadis à la sécurité de la petite rade ne seraient point à l’abri de ses surprises. Si récente que soit la perte du brave amiral, l’art de détruire a depuis fait des progrès qui déroutent toutes ses prévisions. En