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de tourner à ruine) Charles VII l’exempta de la taille, pour qu’elle ne demeurât inhabitée. Cette exemption fut prolongée en 1455, en 1459, en 1462, pour rendre les habitans plus enclins à eulx employer de corps et de biens au rétablissement des fortifications. Ces travaux marchaient lentement. Louis XI réduisit pour dix ans, en 1464, la taille de la ville à 200 livres par an, à la condition qu’elle en consacrerait le double à sa défense ; il y établit en 1465 une taxe sur le sel pour le même objet, et en 1480 il la dispensa de taille pour dix ans, pourvu qu’elle employât quatre années de suite 1,200 livres par an à relever ses remparts. Les affaires de la marine n’étaient point alors conduites autrement que celles des fortifications : des lettres patentes du 6 avril 1475 taxèrent les habitans de Pont-Audemer à 200 livres dans un emprunt forcé pour l’armement de la nef la Siméone d’Honfleur, destinée à s’opposer aux damnées entreprises des Anglais. Les prêteurs avaient part aux prises, et la Siméone fit son devoir, car au retour de la campagne elle rendit à la ville, outre ses 200 livres, six pièces de canon. On comprend combien, dans un temps où la fortification des places et l’armement des bâtimens de guerre étaient mis au rang des charges municipales, il restait à faire pour constituer l’unité française. Ceux qui, malgré les vices de cette organisation, vengèrent alors l’indépendance de la nation n’en méritèrent que mieux d’elle. Les chroniques du temps nous ont transmis de longues listes de leurs noms ; mais ces noms mêmes sont presque tous éteints, et les chevaliers de Charles VII ne sont plus représentés dans leur pays que par la famille impérissable qui se perpétue dans les rangs de nos soldats.

Pont-Audemer n’a plus d’enceinte fortifiée, et les derniers vestiges de ce titre de noblesse de la ville ont été rasés en 1840. Il n’y a point apparence que beaucoup des rues actuelles aient conservé le tracé de celles que dévastèrent les Anglais : elles sont larges, bien alignées, et le seul monument du moyen âge qui s’y montre est l’église byzantine de Saint-Germain. La ville possède un autre monument fort digne d’attention, quoique inachevé. Commencée à la fin du XVIe siècle et continuée jusqu’au commencement du XVIIIe, l’église paroissiale offre une alliance pleine de grâce et de majesté du style gothique et du style de la renaissance : les tours sont tronquées, les murs intérieurs n’arrivent pas à l’imposte. L’édifice se construisait sur l’axe d’une vieille église romane qu’on démolissait à mesure que la nouvelle avançait, et une nef, qui serait magnifique si la voûte en était posée, aboutit à un chœur roman des plus humbles proportions. Ces belles constructions sont l’ouvrage des anciennes corporations des marchands de Pont-Audemer : elles sont l’expression de la puissance des libertés municipales, comme l’abandon prolongé où on les