Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/914

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

côte ne perdront rien à la création dans leur voisinage d’un nouveau foyer d’activité : celui-ci leur enlèvera quelques commissions et un peu de leur encombrement ; mais il leur rendra le décuple par l’accroissement des relations et du travail dans la vallée de Bolbec.


II. — Quillebeuf, le Marais-Vernier.

C’était, il n’y a pas plus de cinq ans, une entreprise toujours pénible et souvent périlleuse que d’aller de Lillebonne à Quillebeuf. Le trajet direct aurait été de 6 kilomètres, mais il présentait des difficultés insurmontables : la Seine divaguait au loin entre des rives toujours incertaines ; elle formait des bancs mouvans autour du banc du Tot, si redouté des matelots, et il fallait faire un immense détour, sur des chemins fangeux, par le hameau nommé, avec un prosaïsme bien déplacé dans la patrie du grand Corneille, le Cul-du-Tot. Aujourd’hui. ce spectacle de désordre et d’abandon a disparu ; le banc du TOt et les lagunes qui l’environnaient sont remblayés par les dépôts limoneux de la Seine, et la merveilleuse aptitude du sol et du climat à produire de l’herbe les transforme à vue d’œil en riches pâturages ; d’innombrables troupeaux paissent en sécurité dans les lieux où l’homme ne laissait naguère pour trace de son passage que des débris d’agrès ou de barques échouées ; un pas de plus, et les terrains conquis se couvriront des cultures les plus variées. Déjà une route en ligne droite s’avance de Lillebonne sur des cales d’abordage pratiquées dans la digue vis-à-vis de Quillebeuf, et il ne faudra bientôt plus qu’un bac pour établir entre les deux rives de la Seine des relations qui promettent d’être actives.

C’est en atteignant Quillebeuf que la Seine perdait naguère ses allures de fleuve pour prendre un aspect maritime. Une pointe aiguë, taillée par les érosions des eaux dans les bancs de pierre du plateau du Roumois et semblable à l’angle curviligne formé par deux cercles tangens, marquait le partage entre ces deux caractères de la navigation, et signalait l’approche des dangers dont le ballottement des courans de flot et de jusant, entre les pointes avancées de La Roque, de Tancarville et de Quillebeuf même hérissait ce passage. Après le comblement de l’atterrage de Lillebonne, la navigation n’a pu se développer à l’embouchure de la Seine sans le sauvetage et le pilotage de Quillebeuf. La fruste antiquité de son église de Notre-Dame-de-Bon-Secours, assise à l’extrémité de la pointe, comme pour se rapprocher des matelots en péril, témoigne de l’âge du bourg, qui doit être contemporain de l’établissement des premières relations entre Rouen et la mer. En arrière de l’église sont étagées, sur la croupe rocailleuse du cap, des maisons modestes et proprement