Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

variés de ne pas se contenter d’admirer Tancarville du pont d’un bateau à vapeur qui passe et disparaît : qu’ils descendent à terre, qu’ils pénètrent dans le vallon, qu’ils grimpent au travers des ronces sur les terrasses, dont les murs crevassés se couvrent de lianes et de campanules, et ils seront bien dédommagés par le spectacle des vastes eaux que roule la Seine entre ses verdoyantes alluvions, ou au pied des pentes ombragées du Roumois et du pays de Caux. Une excellente petite auberge, dont la récente construction est due à la sollicitude de M. Vitet pour les artistes, les ingénieurs et les curieux qui peuvent visiter Tancarville, n’est pas le détail le moins intéressant de ce féerique paysage. Les digues du nord de la Seine s’enracinent au pied du phare de Tancarville et des carrières voisines, qui leur fournissent des matériaux ; elles ont été dirigées de manière à former un port de refuge auquel de meilleures destinées sont promises. Ce chenal sert aussi à faire écouler les eaux abondantes de l’égout des terres de Radicatel, et la réunion de celles du Bolbec y porterait une masse suffisante pour remplir toutes les conditions d’une navigation parfaite. On verra tout à l’heure quel usage pourrait faire de ce canal la population à la rencontre de laquelle il irait. Les digues qui finissent à Tancarville descendent sans interruption de Villequier, et dans un développement de 24 kilomètres, elles ont contraint la Seine à déposer en arrière de leurs lignes 2,267 hectares d’alluvions. Ces dépôts limoneux sont de la plus grande fertilité ; mais pour leur donner toute leur valeur, de grands travaux d’assainissement sont encore nécessaires : ces travaux rentrent naturellement dans la mission des syndicats de propriétaires formés pour l’entretien des digues, dont la solidité n’importe pas moins à la culture qu’à la navigation.

On a négligé jusqu’ici d’établir de bonnes communications le long des rives incertaines de la Seine maritime : où auraient-elles conduit ? Mais le changement opéré dans l’état des lieux a déjà donné naissance à des besoins nouveaux. De Tancarville, en côtoyant les collines de Radicatel, on se rend à pied en une heure et demie à Lillebonne, aujourd’hui simple chef-lieu de canton, jadis la capitale des Calètes, puis la Juliobona de César et la station principale des flottes romaines dans la Manche. Lillebonne avait encore au XIe siècle une grande importance, puisqu’il y fut tenu deux conciles, en 1066 et en 1080, et que ce fut dans le château qui la commande que le duc Guillaume convoqua la noblesse de Normandie pour la résoudre à conquérir l’Angleterre. Trois voies romaines rayonnaient autour de Lillebonne dans les directions des routes actuelles de Rouen, de Fécamp et d’Harfleur ; il ne reste dans la ville même, pour témoigner de son antique splendeur, qu’un cirque en