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porte s’ouvrait sur la direction des tronçons encore visibles de la chaussée qui conduisait à la capitale des Calètes, ad Calelanos, la Lillebonne de nos jours.

Peu de villes ont pris au moyen âge une part plus considérable qu’Harfleur dans l’histoire de notre pays. Sous le règne de Charles V, le plus ancien organisateur de notre marine, Harfleur était notre principal port de guerre et de commerce, l’arsenal de nos armemens et le but des plus meurtrières attaques de l’Angleterre. L’atterrage ne ressemblait point alors à la sinistre grève envasée qui s’allonge au-dessous de la ville. La flotte espagnole envoyée, sous le commandement de don Martin Ruiz de Avendano, pour secourir le royaume de France et le duché de Bretagne, y stationnait au nombre de quarante vaisseaux en 1405, et elle y fut ralliée par don Pedro Niño avec trois galères. « La ville d’Harfleur (Araflor), dit celui-ci[1], est belle et possède un bon port de haute mer. Les navires y entrent par l’embouchure d’une rivière qui la traverse, et la mer en enveloppe la moitié ; l’autre côté est couvert par une bonne muraille flanquée de fortes tours et par un fossé à escarpes maçonnées et rempli d’eau. Les portes sont doubles, précédées de ponts-levis, et chacune est placée entre deux tours. Cette ville est toujours bien approvisionnée ; elle fait un riche commerce et fabrique de. très beaux draps. Tout auprès se jette à la mer un grand fleuve appelé la Seine : Paris se trouve à cinquante lieues plus haut sur les rives de ce fleuve, et les barques vont et viennent entre les deux villes. »

Dix ans plus tard, en 1415, le roi d’Angleterre Henri V débarqua sur ce rivage avec 40,000 hommes, et s’empara d’Harfleur après une résistance héroïque qui dura six semaines. À son entrée, seize cents familles furent expulsées de la ville le bâton blanc à la main ; elles furent remplacées par des familles anglaises, et pendant cette période d’occupation il fallut, pour posséder des immeubles dans Harfleur, être né de l’autre côté du détroit. En 1435, la Normandie tout entière s’émut ; nobles, bourgeois, paysans, se levèrent comme un seul homme. « Si vinrent faire savoir (dit Alain Chartier dans sa Chronique) aucuns notables du pays de Caux au maréchal de Rieux qu’il assemblât gens d’armes de son côté, et que eux et grant parti du commun se trouveroient à un jour qui seroit dit, et de ce commun étoit chef un nommé Quarnel. Et lors se mit aux champs ledit maréchal, et Poton de Xaintrailles et autres capitaines prirent Fécamp et Harefleur d’assault. » Les paysans cauchois qui hâtèrent la lenteur des maréchaux de France avaient pour frères d’armes des bannis d’Harfleur, en tête desquels était Jean de

  1. Cronica de don Pedro Niño, conde de Buelna, réimprimée à Madrid en 1782, in-4o.