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l’entrée de la Seine, du plus haut intérêt pour la navigation générale : un fait considérable, rappelé dans la première partie de cette étude, l’a donné à pressentir. La balance des tonnages, c’est-à-dire des chargemens d’aller et de retour des navires, entre comme élément principal dans le bon marché du fret ; il n’existe point de parité entre les ports d’où l’on revient chargé et ceux d’où l’on revient sur lest. Or le poids des expéditions du Havre n’excède pas de beaucoup le tiers de celui des arrivages ; c’est comme si les deux tiers des navires entrés dans le port avec une cargaison s’en retournaient à vide, et pour les remplir il ne faudrait pas moins de 600,000 tonneaux. Le terrain de Paris offre en quantités indéfinies, pour combler ce déficit, une matière qui manque dans le Nouveau-Monde, et que réclament partout l’agriculture et l’art des constructions : c’est le plâtre. Les chemins de fer, sur lesquels le rapport des tonnages d’aller et de retour se rapproche beaucoup de celui de la navigation, apporteraient le plâtre à très bas prix ; malheureusement l’élévation des frais de dépôt exclut du Havre dans les conditions actuelles toutes les matières grossières.

Pour desservir toute la plaine, le canal de Vauban devrait avoir 6 kilomètres de longueur, une même étendue pour ses ramifications, et une profondeur de 8 mètres. Il offrirait de la sorte une surface d’eau de plus de 50 hectares, et, comme dans les grandes marées la différence de niveau entre la haute et la basse mer est au Havre de 6m,65, le canal pourrait, par un jeu d’écluse facile à organiser, jeter par marée, en arrière de la pointe du Hoc, un volume de 3 millions de mètres cubes d’eau. L’action bien ménagée d’une pareille puissance rendrait promptement au havre d’Harfleur une profondeur suffisante pour l’admission des navires de 500 tonneaux. Les houilles d’Angleterre, les bois de la Suède et de la Norvège, une partie du cabotage de l’Atlantique, celui de la Seine maritime en particulier, entreraient et sortiraient dès lors par Harfleur, et, ainsi dégagé, le chenal de l’ouest suffirait longtemps, avec l’élargissement qu’il est à la veille de recevoir, au principal mouvement de l’atterrage.

Les lieux qui nous occupent sont un grand exemple des vicissitudes que traversent parfois les établissemens maritimes. Le spectateur monté sur les hauteurs de Graville embrasse d’un même coup d’œil Le Havre et Harfleur : d’un côté l’espérance, de l’autre le souvenir. La fondation d’Harfleur se perd dans la nuit des temps. L’issue d’une jolie vallée sur l’embouchure d’un grand fleuve a dû être un des premiers lieux habités du pays. Le nom d’Harfleur ne rappelle aucune origine romaine ; on en a pourtant vu un vestige dans celui d’une ancienne porte de la ville, Caltinaut, et de fait cette