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I. — L’Eure, Harfleur, Lillebonne.

La plaine de l’Eure, dont Le Havre occupe la partie occidentale, comprend 965 hectares, et elle suffirait à l’établissement d’une ville de 190,000 âmes, en supposant une population égale en densité à celle que renferme aujourd’hui l’enceinte fortifiée de Paris. Les conditions de service d’un port dont l’aire territoriale embrasse Rouen et Paris ne comportent guère une moindre population. Le tonnage du port du Havre, élevé en 1847 à 1,675,000 tonneaux, retombait en 1848 à 1,015 : mais en 1855 il remontait au même degré qu’en 1847, et la moyenne des trois dernières années est de 1,989,000 tonneaux. Si la paix se maintient en Europe et que la progression des habitans suive celle des tonnages, Le Havre doublera d’étendue en trente ans. La prévoyance la plus vulgaire prescrit donc de tout préparer pour l’envahissement successif de la plaine entière ; le sol se couvrira de magasins et de chantiers pour le service de la grande navigation. Des dépôts de houille, de pierre, de bois, de métaux bruts, des ateliers de charpente ou de forges se grouperont au large dans cette plaine, qui semble faite pour les recevoir. La veine cave de ce grand corps serait un canal maritime dont Vauban n’a tracé que l’ébauche ; il ne devinait pas que, cent cinquante ans plus tard, des chemins de fer condenseraient l’espace autour des bassins qu’il creusait, et que la force d’expansion de la vapeur rejetterait au rang des conceptions étroites les calculs de Colbert sur l’avenir du Havre. Les besoins nouveaux exigent que le canal de Vauban reçoive les plus grands navires du commerce, vienne se dégorger sous les vieilles murailles d’Harfleur, et se ramifie dans la plaine comme font ces canaux hollandais sur lesquels le bordage des navires s’applique directement aux murailles des magasins et des ateliers. Tout, y compris le luxe des quais, devra dans ce quartier de rudes travaux se subordonner à l’économie des transbordemens. Ce projet d’extension du canal, qui ne suffit plus à l’assainissement de la plaine, a le mérite de n’être pas nouveau : Vauban, si attentif à déposer partout des germes dont l’ensemble de ses combinaisons assurait le développement, donnait une indication à l’avenir bien plus qu’il n’exécutait un travail définitif, et le duc d’Harcourt, gouverneur de la Normandie, le même dont le patronage passionné faisait prévaloir toutes les idées saines sur l’établissement de Cherbourg, recommandait en 1786 la navigation du canal de Vauban comme une condition essentielle de l’accomplissement des destinées du Havre. Le développement économique des surfaces territoriales et maritimes affectées aux besoins du commerce est, à