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le gênaient à la cour, qui lui prenaient sa place, qui lui disputaient la faveur du roi, qui ne s’effaçaient pas assez complètement devant sa gloire. J’aperçois bien de la vanité dans ces colères ; l’intérêt de notre cause n’a-t-il pas servi de masque à de très petites passions ?

Cette conjecture ne paraît que trop fondée, lorsqu’on voit depuis vingt-cinq ans les personnages les plus considérables, les esprits les plus dignes de respect, non-seulement en Allemagne, mais en France et en Angleterre, princes, ministres, écrivains, persiflés par Humboldt. Entre toutes les personnes éminentes dont il est question dans ces lettres, une seule peut-être, la princesse Hélène, duchesse d’Orléans, a trouvé grâce devant celui qui s’appelait lui-même le Vieux de la Montagne. Plusieurs billets datés de 1836, et les notes que Varnhagen y a jointes, peignent bien l’émotion produite dans les cours du Nord par le voyage des princes français en Prusse ; on pressent déjà, en lisant ces notes, quelle sera l’attitude embarrassée de la cour de Berlin, quand la princesse Hélène de Mecklembourg prendra congé de son oncle Frédéric-Guillaume III pour aller épouser le duc d’Orléans. Le 17 mai 1837, Humboldt écrivait à Varnhagen : « La princesse Hélène a triomphé encore hier de maintes résistances brutales par sa grâce charmante et la supériorité de son esprit. C’était chose plaisante que de voir certaines personnes s’efforcer de prendre un air grave, digne, et… bête. Ce qui me cause surtout une vive joie, c’est qu’elle part pour son nouveau pays avec la plus grande sérénité d’âme. » Le constant témoignage rendu par Humboldt à la duchesse Hélène est pour lui un titre qui efface bien des fautes ; mais s’il a respecté cette noble figure, combien de fois n’a-t-il pas sacrifié toutes les convenances pour satisfaire une vanité insatiable ! Le prince Albert, qui a loué le Cosmos pourtant, mais qui peut-être ne l’a pas loué comme l’auteur l’aurait voulu, n’échappe point à la raillerie. Les éloges mêmes qu’il a donnés à Humboldt se retourneront contre lui, transformés en sarcasmes. Pourquoi a-t-il parlé des terrasses étoilées splendidement décrites par Humboldt ? Il ne sera plus pour Humboldt que l’homme aux terrasses étoilées, comme Oronte est l’homme au sonnet. Sir Robert Peel, avec sa figure hollandaise, est un esprit à vues étroites et vain beaucoup plus qu’ambitieux. Lord Aberdeen a beau garder obstinément un majestueux silence, il ne persuade pas aux gens qu’il puisse parler en homme d’esprit. M. de Canitz, un politique libéral, un ami de Varnhagen, est appelé archiaristocrate, archithéologien, et enfin archifrançais. Pour couronner ces aménités, Humboldt ajoute qu’il est sot et bête. Le baron de Stein, un des héros du patriotisme allemand, est représenté comme un homme sans caractère et sans principes. Un autre héros de 1813, le général Gneisenau, vénéré de toute l’Allemagne