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tablis dans le pays par l’invasion de leurs compatriotes et par la guerre désastreuse qu’elle avait amenée. On sait que M. Mirabeau-Lamar fit pendant deux ans de cette réclamation l’épée de Damoclès de sa diplomatie, tantôt à Managua, tantôt à San-José ; à Managua cependant il avait rencontré chez le général Martinez une résistance invincible à l’égard du traité Gass-Irizarri, résistance d’autant plus méritoire qu’elle était battue en brèche par une majorité hostile. Le congrès, composé en grande partie de Léonais et d’hommes compromis dans les derniers troubles, dont quelques-uns avaient encore sur les mains le sang de leurs concitoyens, le congrès voulait en finir, fut-ce au prix d’une trahison. L’esprit de M. Irizarri, ministre nicaraguain à Washington, vieux Léonais rompu aux corruptions américaines, soufflait sur cette majorité démoralisée. Un signe de l’Europe, surtout de la France, eût coupé court à ces défaillances en fournissant un point d’appui au sentiment contraire ; mais rien ne venait de ce côté-là, tandis que le pavillon américain se promenait menaçant de San-Juan-del-Sur à Realejo, et s’éternisait dans les eaux de Grey-Town. L’annexion était donc Consommée de fait aux yeux des incorrigibles révolutionnaires, à qui le Nicaragua devait tous ses désastres ; il ne s’agissait pour eux que de lui donner un titre légal suffisamment hypocrite, et d’en tirer le meilleur parti pour leurs intérêts. M. Irizarri venait d’envoyer une espèce de sommation comminatoire, portée, pour plus de signification, par un ancien lieutenant de Walker. Le congrès voulut violenter le concours présidentiel qu’il ne pouvait obtenir de plein gré. La constitution lui donnait la souveraineté entière, pourvu qu’à deux reprises, à trois mois de distance, il réunît une majorité des deux tiers des votans. La première délibération dura trois jours, et 10 voix contre 5 finirent par voter le traité, qui fut aussitôt porté au général Martinez, Le général le remit à l’envoyé d’Irizarri avec une de ces phrases équivoques que chacun interprète selon ses désirs. L’envoyé repartit avec le paquet sans le lire, croyant qu’il contenait la ratification du pouvoir exécutif, et il sema la bonne nouvelle de Grenade à New-York. Ce ne fut qu’à Washington qu’on s’aperçut de l’erreur. Le général n’avait rien signé, et il fallait attendre trois mois un nouveau vote décisif. Or, dans trois mois, bien des événemens pouvaient surgir qui renverseraient les calculs du moment. Le président Martinez avait tout sauvé en gagnant du temps : il allait trouver dans la visite du président Mora, dans les conférences relatives au canal, et dans le courant d’opinion venant de Costa-Rica, une force nouvelle et un réveil de patriotisme qui rendraient désormais le traité Gass-Irizarri impossible.

Nous arrivions donc à une heure critique. Ce qui allait se passer