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baies de Thomas et de Salinas. J’éprouvais une vive curiosité à l’égard de ces dépressions, que m’avaient déjà fait connaître les récits de plusieurs explorateurs. Tous les marins savent que l’Océan dessine dans ces parages une vaste courbe intérieure, au fond de laquelle souille un vent de terre, venant de l’est, qui chasse les navires au large, et qu’on appelle le papagayo. Les vieilles cartes donnaient même à cette courbe, dont Salinas occupe le sommet, le nom de golfe de Papagayo, et toutes les reconnaissances hydrographiques le signalaient comme un passage difficile par suite des rafales irrégulières qui prenaient les navires en travers. Or j’avais toujours soupçonné que ce vent du papagayo, de même nature que celui qui souffle toute l’année de l’est sur le lac de Nicaragua, et qui en rend les rives occidentales si peu abordables, arrivait dans la région du Pacifique par suite même de la dépression extraordinaire qui lui livrait passage. Il ne faut pas oublier qu’à cette latitude, — 11 degrés au-dessus de l’équateur, — tout le système des courans atmosphériques est subordonné à la loi générale des vents alizés. Lorsque cette loi trouve une barrière dans l’élévation des montagnes du continent américain, elle ne se fait plus sentir qu’au large du Grand-Océan, comme en face des Cordillères, du Pérou, de l’Equateur et de la Colombie ; mais si le sol s’abaisse tout à coup, lui laissant libre carrière, l’action des vents doit être d’autant plus violente qu’elle a été plus contrariée, et que l’issue est plus étroite. Ainsi s’expliquait pour moi un phénomène à peu près unique du cap Horn à l’Amérique du Nord, qui répond en effet à une situation unique sur les côtes du Pacifique. Du pont du Colombus, je voyais nettement les dernières ondulations des hauteurs de Costa-Rica expirer au fond de la baie de Salinas, d’où soufflait le vent, pour se relever en collines toujours boisées qui se prolongeaient indéfiniment vers le nord comme un bourrelet de verdure. À partir de ce versant mamelonné du plateau de Libéria, la capitale du Guanacaste, il n’y a plus de Cordillères. Toute la partie occidentale de l’isthme, occupée par la république de Nicaragua, n’est elle-même qu’un plateau d’une élévation moyenne de 50 ou 60 mètres, renflé sur le bord de l’Océan par des chaînes de collines plus ou moins continues, derrière lesquelles se dressent, en pics isolés, les formidables volcans de l’Orosi, de l’Ometepe, du Montbacho, du Momotombo, du Viejo, jusqu’au massif déchiqueté du Çoseguina, qui domine la baie de Fonseca. Dieu semble avoir marqué clairement sur cette plage intermédiaire le sillon du bosphore américain, et, autant que puisse en juger un profane, le vent seul du papagayo m’aurait désigné la baie de Salinas comme étant le secret du détroit que cherchait Fernand Cortez.

La traversée de Punta-Arenas à San-Juan-del-Sur ne devait pas