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capitale, en sus des postes d’honneur du président, du général et du congrès. Ces trente soldats se tenaient le jour dans deux casernes aux ordres de l’administration, étaient distribués la nuit aux angles de chaque rue comme nos policemen, recevaient pour ce double service la modeste rétribution de 2 réaux (1 fr, 25 cent.), et retournaient le lendemain à leur village reprendre leurs occupations ordinaires. La sécurité n’en était pas moins complète d’un bout de la république à l’autre. On pouvait la traverser seul sans rien craindre, avec une fortune dans son porte-manteau, au vu et au su de tout le monde. L’honnêteté publique remplaçait les gendarmes. Cette honnêteté est si générale que la plupart des transactions se font sur parole, et que, pour le transport des cafés à Punta-Arenas sur le Pacifique, qui donne lieu aujourd’hui à un mouvement de plus de 200,000 quintaux par an, les expéditeurs acceptent les premiers venus, leur confient un chargement en rapport avec leur attelage les paient souvent d’avance, et il n’est jamais arrivé qu’ils aient eu à s’en plaindre. Inutile de dire que les assassinats sont inconnus. Je ne crois pas que les tribunaux aient jamais eu à prononcer la peine de mort contre un Costa-Ricain pour délit de droit commun.

La vie politique d’une nation n’est que le reflet de son caractère privé. Costa-Rica devait échapper, par cet amour de l’ordre, du travail et de l’épargne, aux troubles et aux secousses qui ont si profondément désorganisé la plupart des nouveaux états issus de la commotion de 1821. Son histoire en effet témoigne à la fois d’un grand besoin de garanties intérieures et d’un vif sentiment de solidarité avec ses sœurs de l’Amérique centrale. Dès 1825, la république avait une constitution particulière et un gouvernement régulier tout en faisant partie de la confédération guatémaltèque, et l’on peut dire que, depuis cette époque, elle a marché d’un pas sûr dans une voie de consolidation et de progrès. Elle n’a pu toutefois éviter complètement les rivalités locales, les luttes presque domestiques et le choc des ambitions personnelles ; elle a de plus subi en 1842, par l’invasion de Morazan, le contre-coup des agitations de ses voisins et de la longue guerre civile du fédéralisme et du séparatisme ; mais ces secousses passagères ont été bien vite comprimées et pacifiées par la sagesse nationale. M. Felipe Molina, ancien ministre de la république aux États-Unis, fait remarquer que la cause de l’ordre constitutionnel a triomphé spontanément dix fois sur douze, et que la somme totale des malheurs publics, dans toute la période de l’indépendance, ne dépasse pas cent jours perdus et cent vies sacrifiées[1].

  1. Bosquejo de la Republica de Costa-Rica, por Felipe Molina. L’auteur, mort en 1856, a été remplacé à Washington par son frère don Luis Molina.