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amis, je suis théologien. Mon devoir est de chercher la vérité sur les choses divines. Ma tâche, hélas ! est plus rude que la vôtre. J’ai des doutes, je suis déchiré par bien des tourmens intérieurs, je souffre, je souffrirai, mais je ne suis point un impie. » Qu’il y a loin de ces touchantes paroles aux sèches railleries du savant ! Un jour Humboldt reçoit des États-Unis une lettre naïve, cordiale, dont l’auteur, un protestant, un simple membre de la grande communauté chrétienne (rien ne fait croire que ce soit un pasteur), lui parle avec effusion de la douceur de l’Évangile, de la tendresse infinie du Christ, et essaie de l’amener aux pieds du divin maître. Humboldt veut bien trouver une certaine bonhomie dans cette lettre, puis il écrit au bas : Tentative de conversion venue de l’état de l’Ohio, et il l’envoie à Varnhagen pour sa collection de curiosités. Je me suis rappelé en lisant cela ces paroles de M. Sainte-Beuve : « Prenez les plus grands des modernes anti-chrétiens, Frédéric, Laplace, Gœthe ; quiconque a méconnu complètement Jésus-Christ, regardez-y bien, dans l’esprit ou dans le cœur il lui a manqué quelque chose. »

Si quelque chose n’avait pas manqué à Humboldt, il eût été plus franc dans sa conduite publique et plus digne dans l’expression de sa pensée. En revanche cet ennemi du christianisme n’en savait pas moins être bon courtisan. Il y a quelques années, un écrivain français traça la biographie de l’illustre frère de l’auteur du Cosmos, de celui qui couronna sa noble carrière politique par de si admirables travaux sur la philologie comparée : plein de respect pour une telle mémoire, plein de respect aussi pour l’homme qui en était le gardien le plus autorisé, l’écrivain dont je parle, avant de publier cette biographie de Guillaume de Humboldt, s’empressa de la soumettre à son frère Alexandre. Or, à une certaine époque de sa vie, Guillaume de Humboldt avait professé un stoïcisme austère, un stoïcisme très noble, très pur, mais sans mélange d’idées chrétiennes, et son biographe avait dû marquer ce point avec précision. Il n’y avait ni blâme ni éloge sous sa plume ; dessinant un portrait, il tâchait de n’oublier aucun des signes de la physionomie. Alexandre de Humboldt se récria vivement ; cette impartialité si peu diplomatique lui parut pleine de périls. Que penserait le roi ? que dirait la cour ? N’était-ce pas fournir une arme à ses ennemis ? En un mot, il demandait avec instance que ce passage fût atténué. L’écrivain se rendit à son désir, croyant y voir quelque chose de respectable, soit que ce fût simplement la faiblesse d’un vieillard, soit qu’il y eût là un sentiment exagéré de sollicitude pour la mémoire d’un frère ; il se demande aujourd’hui, non sans tristesse, s’il n’est pas venu en aide à la timidité d’un courtisan.

C’est aussi cette timidité d’esprit, je ne voudrais pas dire cette