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mue : « Nous pensons, disait-il, que Caroline n’est pas assez, bonne pour notre reine, mais qu’elle est trop bonne pour notre roi[1]. »

En lisant ces extraits du journal de Leslie, on comprend de reste que l’Amérique ne pouvait guère lui offrir des compensations à son gré, en échange de cette vie de Londres qu’il aimait, de cet esprit courant dont il goûtait la finesse. Le soin même avec lequel Leslie enregistre les saillies dont il a été frappé montre combien son éducation littéraire lui avait donné le goût de la causerie animée et subtile. Il aimait aussi le théâtre, et recueillait précieusement les traditions orales relatives aux grands comédiens. Il a noté quelque part, à propos de l’un d’eux, un mot remarquable. Après avoir joué successivement avec Garrick et avec Barry, son élève, la fameuse scène de Roméo et Juliette, une actrice émérite disait, pour différencier et caractériser leur talent : « Barry me donnait envie de me jeter du balcon dans ses bras. Avec Garrick, je restais convaincue qu’il allait sauter sur le balcon pour tomber dans les miens. » Sur cette définition charmante, demandez à une femme lequel des deux tragédiens elle aurait préféré.

Encore un extrait du journal de Leslie. Celui-ci est curieux à plus d’un titre.


« 1er décembre (1836). — Dîné chez Constable. Il me racontait que Wilkie et lui étudiaient ensemble à l’académie. Wilkie avait travaillé d’abord à l’académie écossaise, où Graham, qui la dirigeait, répétait souvent à ses élèves cet adage de Reynolds : « Si vous avez du génie, le zèle ne saurait manquer de le développer ; si vous n’en avez pas, le zèle vous en tiendra lieu. » Aussi, ajoutait Wilkie, sachant bien que le génie me manquait, je résolus d’être très zélé. — Wilkie disait encore à Constable dans le même temps : — Quand Linnell et Burnett[2] discourent sur l’art, je me tiens toujours aussi près d’eux que possible, pour ne pas perdre une seule de leurs paroles, car ils savent beaucoup, et moi fort peu. — Ceci était dit en toute sincérité, car Wilkie était réellement modeste. Ce n’était point parce que sir George Beau-mont[3] possédait les avantages d’une haute position sociale et d’une fortune considérable que Wilkie se montra toujours si docile à ses leçons. Sir George, en premier lieu, était de beaucoup le plus âgé des deux. En outre, c’était un vrai connaisseur en peinture. Il avait enfin connu intimement

  1. Formes anglaises : « pour être notre reine,… pour appartenir à notre roi. »
  2. Deux autres étudians, leurs camarades, restés relativement obscurs.
  3. Sir George Beaumont, un des amateurs le plus éclairés qu’ait eus l’Angleterre, a été le patron de Constable, de Wilkie, etc. Leslie lui reproche cependant Autobiographie, p. 131 d’avoir méconnu le talent de Stothard, qu’admirèrent au contraire Lawrence, Constable, Wilkie, Chantrey et Turner. Ce dernier disait de Stothard : « Je serais content si je pouvais penser qu’il a pour mes tableaux la moitié du goût que j’ai pour les siens. C’est le Giotto de l’Angleterre. »