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l’hospitalité semble avoir eu quelque chose de plus attrayant. Ceci tenait sans doute à ce qu’on s’y sentait plus « de plain-pied. » Les lettres de Leslie, datées d’Abbotsford (septembre 1824), où il est allé peindre le grand romancier, nous font vivre dans cet intérieur si harmonieux, au sein de cette famille si digne de respect, et il semble qu’on y respire plus à l’aise qu’à Petworth. Pour Leslie, ce voyage fut un enchantement, on le voit bien. Sa fibre nationale, ses instincts d’artiste, son innocent orgueil, tout était à la fois en jeu, et il faut ajouter à ceci qu’il rendait compte de ses impressions, non plus à une sœur, mais à une jeune fille adorée, celle qui, deux ans plus tard, allait lui appartenir. Aussi tout est-il comme doré par le prisme prestigieux de l’amour : les flots de la Tweed (le baronial stream) roulant à grand bruit sur leur lit de cailloux ; les cimes de cette rangée de montagnes si poétiquement décrites dans le Lai du dernier Ménestrel[1] ; ce glen (Thomas the Rhymer’s glen), cette vallée étroite et profonde que Walter Scott avait choisie pour servir de cadre à son image ; cette chute d’eau près de laquelle il aimait à venir rêver ; ce petit lac, où il nourrissait de sa main deux beaux cygnes au blanc plumage. Les ruines gothiques de Melrose Abbey, ces vieux chants de l’Ecosse que la fille du poète (mistress Lockhart) redisait le soir aux hôtes de son père, tout, — jusqu’à ces terriers noirs sans lesquels Walter Scott ne sortait guère, et dont les noms rappelaient un de ses romans favoris[2], — concourt à l’effet poétique de ce fidèle et loyal récit. Il fait aimer Walter Scott autrement que pour son admirable talent, sur lequel on voit maintenant s’acharner, sans trop de profit, ce semble, toute une école de prétentieux critiques.

Les hôtes de Walter Scott étaient toujours nombreux. Leslie vit chez lui, entre autres personnages, le grand libraire d’Edimbourg, Archibald Constable, la femme du plus riche banquier des trois royaumes, mistress Burdett Coutts, plusieurs nobles ladies (lady Alvanley, la comtesse de Compton etc.) ; mais de tous ces invités le plus intéressant à coup sûr était M. Stewart Rose. Le maître d’Abbotsford avait chez lui, comme à demeure, cet érudit écrivain, que d’assez graves infirmités (il était paralytique) eussent rendu incommode à tout autre châtelain. Il lui avait fait arranger au rez-de-chaussée une chambre donnant sur le jardin, et dont les fenêtres treillissées étaient garnies de fleurs. Rose y achevait tranquillement une vie laborieuse, occupé à quelque traduction de

  1. The Eildon Hills.
  2. Spice, Ginger, Mustard et Whiskey. Avons-nous besoin de rappeler aux lecteurs de l’Astrologue ces quatre personnages, les chiens favoris, les dignes compagnons de Dandie Dinmont, l’honnête fermier ?