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lord Egremont. Ses magnifiques collections étaient à leur entière disposition, et l’argenterie massive aux formes antiques, les meubles d’autrefois, les somptueuses tapisseries de la résidence seigneuriale leur servirent de modèles autant qu’ils le voulurent. Haydon, qui avait joui pareillement de cette splendide hospitalité, a consacré dans son Journal quelques lignes éloquentes au souvenir qu’il en avait conservé. Il décrit avec une satisfaction enfantine la « belle chambre à coucher » où il a été installé, les chefs-d’œuvre qui la décorent, les dessins en velours des rideaux de satin blanc, le damas vert des meubles, et la belle vue du parc encadrée dans les hautes fenêtres. Le contraste de tout ce luxe princier avec certains épisodes encore récens de sa « vie de bohème » donne un attrait de plus aux splendeurs et au bien-être qu’il savoure ainsi :


« Couché, nous dit-il, dans ce lit splendide, entouré de ces portraits aristocratiques qui semblent revivre et vaciller sous mon regard, j’ai cru parfois que je les entendais respirer, et je m’attendais à les voir sortir de leurs cadres pour venir agiter mes rideaux. Étrange destinée que la mienne ! Une année, dans la prison des débiteurs insolvables, en compagnie de joueurs et d’escrocs, — dormant sur une misérable et sordide couchette, où une noire vermine me venait assiéger ; l’année d’après, noyé dans Pédredon et le velours, habitant les splendides appartemens d’un palais splendide, recevant l’hospitalité des plus nobles, des plus riches, des plus belles… Lord Egremont, littéralement, c’est le soleil. Les mouches elles-mêmes, à Petworth, semblent savoir qu’on y fait place à leur existence et que les fenêtres leur appartiennent. Chiens, chevaux, bétail, daims, pourceaux, et les paysans et les valets, et les hôtes, et la famille, et les enfans et les parens, tous ont leur part de cette prodigalité, de cette bonté, de cette opulence. Au milieu de ses hôtes, après le déjeuner, apparaît lord Egremont, donnant la main à quelques-uns de ses petits-enfans. En dehors de la fenêtre aboient et gémissent une douzaine de noirs épagneuls auxquels il distribue des gâteaux et des bonbons, prenant bien soin d’égaliser les parts. Pendant qu’il devise avec quelques convives et propose à tous quelque passe-temps qui leur est destiné, un valet boutonne ses guêtres de cuir, et le voilà dehors, laissant chacun tirer parti, à sa guise et en toute liberté, de toutes les ressources de plaisir si libéralement placées à sa disposition. Tous le retrouvent à dîner, et les hauts faits du jour y ont leur chronique. Notre hôte distribue lui-même plusieurs plats, sans regretter la peine qu’il prend à découper. Il sert d’une main libérale et mange de bon cœur. Il y a grande abondance, mais nulle profusion ; de bons vins, mais sans dépense absurde. Tout est solide, ample, riche, anglais. À soixante et quatorze ans, lord Egremont chasse encore tous les jours et rentre souvent trempé jusqu’aux os. Il a l’activité, la bonne mine d’un homme de cinquante ans… Je n’ai jamais vu pareil caractère ni pareil homme, et je doute qu’on en trouve beaucoup ici-bas. »


Chez sir Walter Scott, — sans être naturellement aussi grandiose, —