Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/853

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Sa livrée était des plus simples, et sur aucune de ses voitures il n’avait d’armes ou de coronet. Wilkie se trouvant à Petworth pendant une de nos visites, lord Egremont voulut nous mener, lui et moi, voir Chichester. En route, il fit arrêter pour nous montrer Goodwood : les propriétaires, le duc et la duchesse de Richmond, se trouvant absent, il demanda la femme de charge. Les domestiques, qui ne le connaissaient pas, nous retinrent plus d’un grand, quart d’heure sous le vestibule. Lord Egremont finit par perdre un peu patience, et enjoignit à son valet de pied de tirer une seconde fois la sonnette. « Je m’en irais, nous dit-il, n’était qu’on va nous prendre pour une bande de voleurs… »

« Grâce à cette put-up-ability dont parlait Beechey, lord Egremont ne changeait guère de domestiques. Quelques-uns de ses serviteurs en premier étaient aussi âgés que lui-même. Ceux-ci ne portant pas livrée, et le costume du matin de lord Egremont étant des plus simples, on le prit plus d’une fois pour l’un de ses valets. Ceci arriva notamment à la femme de chambre d’une noble lady qui, pour la première fois, venait à Petworth. Elle le rencontra, traversant le vestibule, au moment où sonnait le dîner des domestiques : « Allons, vieux monsieur, lui dit-elle, nous dînons ensemble ; je pense ? Montrez-moi le chemin. Je ne puis me retrouver dans cette grande halle de château. » Il lui offrit tranquillement le bras, la conduisit à l’endroit où les autres soubrettes étaient réunies pour le repas, et là seulement : « Vous dînez ici, lui dit-il,… moi, je ne dîne pas avant sept heures. »


Dans un autre chapitre de son Autobiographie, Leslie raconte une visite qu’il fit, bien des années plus tard, à son vieux protecteur. C’était dans l’été de 1834 :


« Lord Egremont était alors dans sa quatre-vingt-deuxième année. Quelques jours auparavant, il avait donné à dîner, dans le parc de Petworth, à quatre mille femmes et enfans pauvres, et sur les pelouses les marques existaient encore, laissées par les tables, qui devaient être pour le moins au nombre de cent, rangées en triple demi-cercle en face du château. À cette époque, l’entrée directe de la résidence se trouvait condamnée par suite de la maladie du concierge et de sa femme, qui, tous les deux, se mouraient de vieillesse. Comme ils habitaient la lodge, lord Egremont ne voulait pas que leur repos fût troublé ; il voulait encore moins leur faire subir les fatigues d’une translation. Si le conducteur de la voiture qui m’amenait ne m’eût prévenu d’avance de tout ceci, j’aurais été fort stupéfait de trouver la grille de l’avenue surmontée d’un grand écriteau avec la formule prohibitive : No admittance[1]. — Je ne trouvai cette fois à Petworth, en fait d’hôtes, que des parens et des amis, tous plus ou moins pauvres, et, à vrai dire, tout ce que je pus remarquer mettait admirablement en relief la bienfaisance de notre hôte. »


Constable et Wilkie comptaient aussi parmi les « patronés » de

  1. On n’entre pas.